Mère blafarde

Bien que les entretiens avec les nouveaux professionnels, parfois loufoques mais le plus souvent tenaces, la distraient de sa vie sentimentale chaotique, Barbara Hoffman est souvent effondrée le soir quand elle rentre chez elle. Elle n’a pourtant pas revu l’atroce film de Vincent Gallatino, Quand les sentiments s’arrêtent.
Elle n’a pas non plus assisté à un concert du chœur des orphelins.
Là-dessus, un éducateur qui s’occupe d’un de ses enfants resté dans le nord du pays avec leur père (gentil mais désespéré) l’a contactée pour lui parler de la situation de Bertrand (le fils) : son état physique et mental et aussi ses aventures avec la police.
Comme elle s’étonnait de la situation, avait tendance à pointer la mollesse du père, l’éducateur a fini par lui dire qu’elle n’était rien d’autre qu’une abandonneuse.
– Mais je ne les ai jamais abandonnés !
– Si. Je suis désolé mais vous les avez abandonnés. Au moins eux le pensent. Vous les avez élevés jusqu’à l’adolescence, vous avez fait tout ce que devait faire une mère en apparence. Vos liens n’ont jamais été excellents mais vous les avez élevés. Puis vous avez quitté la ville pour venir ici et n’avez conservé avec vos enfants que le strict minimum de relations entre une mère et ses enfants. Comme s’il s’agissait d’une affaire finie. Vous les avez élevés et vous êtes partie. Ils ont vécu ça, tous les trois, vous pouvez me croire, comme un abandon. Désolé. Ils vous trouvent, comme on le dit maintenant, c’est l’expression de notre époque, mère blafarde.
– Mère blafarde ???
Quand la conversation a été terminée, Barbara Hoffman a essayé de joindre Marc Victor (lui aussi avait été traité d’abandonneur). Elle a laissé un message sur son répondeur.
Très occupé, absent à sa façon, il répétait tous les jours, de façon un peu obsessionnelle, un peu effrayante (comme s’il perdait la raison de temps en temps) sa prochaine intervention en Dark Vador, pour la fête annuelle des sapeurs pompiers et leurs enfants.
Barbara Hoffman a peur d’être devenue une mère blafarde sans même s’en être rendu compte.
Parfois elle semble embarrassée, hésitante, et ses pensées ne cessent de tourner dans sa tête, à la façon de chauve-souris la nuit autour d’un lampadaire.

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