Le fixeur des quartiers tendres

Né dans un quartier très sensible, un quartier très émotif et susceptible, souvent délicat, le fixeur emmène toutes sortes de personnes désireuses de pénétrer les zones qu’il arpente depuis sa naissance, zones dont il connaît la faune et la flore et où il peut assurer la sécurité des visiteurs.
Quand on lui demande ce qu’il fait, Alain-François (ce prénom n’est pas le sien) répond :
– C’est comme une visite dans une forêt sauvage. J’accompagne des gens sur des terrains difficiles, il y des dangers, des surprises, je leur évite des erreurs graves parfois fatales, je décode pour eux le monde qui les entoure, je traduis leurs questions et j’explique les réponses, il me faut aussi interpréter, tout replacer dans son contexte. Je guide mes protégés dans des zones pas toujours faciles, je suis une façon d’éclaireur, un stalker. Je prends les rendez-vous, je connais les contacts, je sais ce qu’il faut faire et ne pas faire, comment négocier, comment parler, quels gestes éviter, quels mots utiliser. Tout ceci a un prix.
– Pour quel genre de visiteurs travaillez-vous ? Des journalistes ?
– Tous les genres. Des sociologues, des curieux, des photographes, des touristes parfois. Des écrivains voyageurs même. Vous avez lu Aventuriers de la grande banlieue ? Et Au cœur des ronds points ? J’étais fixeur pour l’auteur. Il y a beaucoup de gens qui viennent étudier mais d’autres aussi qui aiment voir sans être vus.
Cela aurait plu à Jacques Marchal ; c’est selon lui une attirance majeure : voir sans être vu (le signe de l’authenticité). La présence permanente de l’électricité a accentué la tendance. Ce n’est pas le savoir ou les informations ni le divertissement mais le plaisir de voir sans être vu qui est le plus recherché. Or, la plupart du temps, de même que l’on ne peut filmer si l’on n’a pas déjà vu, toujours selon Jacques Marchal, ils sont vus mais ne voient rien.
Alain-François, fixeur professionnel, travaille sa capacité de récupération comme un athlète. C’est une de ses forces. « Créer ma propre capacité de récupération fait partie de mon travail. Cela ressort aussi de procédures, de postures, d’évitements, de choix, de parti pris. Ce n’est pas toujours dangereux. Parfois c’est tellement étrange. Une fois, au fond d’une impasse il y avait une porte entrouverte, avec une lumière jaune, et un jeune garçon m’emmenait avec un petit groupe. Derrière la porte, il y avait un ciné-club rempli de zombies. »

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