La vie plus-encore

Il a fallu que l’on pense un jour, oui nous avons une pensée, on ne sait comment c’est venu la pensée chez nous, peut-être à cause de la réduction des maxillaires qui a laissé dans le crâne plus de place au cerveau ?
Réduction des maxillaires = plus de place pour le cerveau = plus de pensée.
Ou est-ce la pensée qui a fait grandir le cerveau et réduire les maxillaires ?
Et donc, peut-être à cause du manque et de la famine, nous avons pensé vite que tout devait grandir et grossir, que tout devait prospérer et s’accroître, enfler et même proliférer jusqu’à se multiplier sans fin et augmenter à l’infini.
Nous nous imaginions probablement en fées infinies ?
Là-dessus, à notre décharge, l’humanité a commencé à pulluler instinctivement.
Comment cela a-t-il commencé ? Nous ne savons pas.
Peut-être après la disparition des mammouths, nos grandes surfaces animales. Dans le froid. Mais doucement, mollement. De façon imperceptible au début. Sans nous en douter. Une pomme de côté, puis deux, une poire, une autre, une noix, une petite réserve, action discrète.
Dans l’eau d’une tourbe, peut-être en Écosse, le fruit pourrit, nous buvons et sans le savoir nous venons d’inventer l’alcool.
Quand avons-nous commencé de stocker ? Et pourquoi ?
L’angoisse ? Le sens de la prévision ? L’orgueil ? L’ennui ?
Lassitude du saut dans le vide ? Rêve de parachute filet parapluie bretelles ?
L’homme crée le garde-manger.
Puis il invente la réfrigération au XIXème siècle (mais il avait déjà trouvé la glace conservée en sous-sol, dans l’obscurité avec de la paille).
Même dans Notre-Ville qui accueille tant de congrès et de débats, tout doit devenir plus colossal et nombreux. Tout le monde veut être un mammouth.
En même temps, comme nous ne sommes jamais en reste pour les privations, punitions, on doit éviter de gaspiller. Nous adorons dépenser et priver.

Dans une optique d’efficacité, par exemple, les ateliers d’artistes seront regroupés en usine abandonnée à perte de vue.
Dans cet endroit de rassemblement des activités artistiques, on installe des grilles, alarmes et gardiens vivants.
Malgré la persistance aggravée des langues de vipère qui soutiennent que la multiplication des gardiens est signe d’inquiétude profonde, voire crise incarnée et que les cœurs deviennent plus froids que la mort quand on les surveille contrôle trop, nous saurons tenir le coup, a déclaré notre maire.
A l’avenir, il y aura aussi plus de contrôles sur qualité (avec Madame Qualité), sécurité (M. Sécurité, son époux), soin (fameux care si proche du cœur) et un règlement intérieur plus serré et cohérent qu’à l’époque de Filipov, ancien directeur, époque des discours fleuves et divagations de cinq heures sur la démocratie, le XXème siècle, les syndicats, l’avenir de l’homme et l’humanité, à une époque où existaient encore des partis politiques et que Che Guevara faisait la chenille à Shangai en 1960.

Tu te souviens des syndicats et des partis ?
Grâce à l’attention de nos experts et jurys, les expositions et les œuvres y gagneront probablement en valeur et en retentissement, assurées d’une bonne programmation et d’une médiation de plus en plus pointue pour l’accueil des publics.
Pour répondre aux détracteurs revêches, aux esprits ronchonnants, aux ennemis de succès curatoriaux, aux passéistes acariâtres avec bouches toiles d’araignées du XXème siècle qui souhaitent le retour d’une critique, le directeur de la culture a affirmé que tous les artistes circuleront, malgré tout, en plein air, libres et bien nourris.

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En lien avec l’histoire sauvage, une pièce radiophonique à écouter en podcast, diffusée le samedi 1er septembre 2018 de 21h à 22h
(mettre en lien :
https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-samedi-noir/la-reserve-noire-de-jean-pierre-ostende

« La réserve noire » de Jean-Pierre Ostende
Une réalisation de Jean-Matthieu Zahnd. Conseillère littéraire : Caroline Ouazana. Assistant à la réalisation : Félix Levacher
Avec :
Mohamed Rouabhi (Régis Legrand) Pierre-Jean Pagès (François, le père)
Agnès Sourdillon (Sylvie, la mère) Baptiste Dezerces (Sébastien, le fils)
Lyn Thibault (Tatiana, la fille) François Siener (André, le grand-père)
Bernadette Le Saché (Rosemarie, la grand-mère) Miglen Mirtchev (Thomas, le résident) Lara Bruhl (Suzie, la résidente)
Bruitages : Benoît Faivre et Patrick Martinache
Equipe technique : Eric Boisset, Mathieu Le Roux

Ou encore en 2017 : Souffrir à ST Tropez.
première partie :
deuxième partie :

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