Tables tournantes au Pico Pico

Plus personne ne peut nier l’existence des tables tournantes, les tables tournent au Pico Pico et leur vitesse n’est guère contrôlable, les fantômes circulent et leurs propos touchent tous les publics, on entend les voix de Nijinski le danseur et Tarkos le poète.
– Je ne vais pas penser ce que tout le monde pense, je ne peux pas, c’est trop difficile, je ne peux pas y arriver, je ne peux pas arriver à penser ce que tout le monde pense, cela fait trop de pensée en même temps, je ne peux pas penser plusieurs pensées à la fois, on sait trop ce que tout le monde pense… (T)
– J’ai dessiné le Christ sans barbe ni moustache, les cheveux longs. Je lui ressemble, seulement lui son regard est calme, et le mien bondit partout. Je suis un homme bondissant, et pas un homme assis. J’ai d’autres habitudes que celles du Christ. Il aimait être assis. Moi j’aime danser. (N)
– Je ne pense pas à ce que je vais faire, je ne pense pas à ce que je fais, je laisse faire, je me laisse faire, je ne peux pas penser à mes actes, je ne peux pas penser à tout ce que je fais, je le fais. Quand je le fais je n’y pense pas, je ne peux pas y penser, avant de le faire je pense au voile, je pense à la peur, je pense à la hauteur des montagnes… (T)
– La Suisse est malade, car elle est toute en montagnes. En Suisse, les gens sont secs, car il n’y a pas de vie en eux. J’ai une femme de chambre sèche, car elle ressent. Elle pense beaucoup, car on l’a desséchée à l’autre endroit où elle a longtemps servi. Je n’aime pas Zürich, car c’est une ville sèche, il y a beaucoup d’usines et beaucoup d’hommes d’affaires. Je n’aime pas les hommes secs, c’est pourquoi je n’aime pas les hommes d’affaires. (N)
– L’hiver est un produit qui lâche, une partie de soi-même qui part, il y a eu une partie importante de soi qui est descendue et qui disparaissait, qui laisse un manque, à se souvenir il y a une part manquante, toute une partie a lâché prise, on en est là avec la part manquante de l’hiver, une partie est partie en abandonnant tout sur place, elle a glissé et disparu, on se retrouve à l’identique mais sans la part manquante… (T)
– C’est Nietzsche qui a perdu la tête, car il pensait. Je ne pense pas, c’est pourquoi je ne perdrai pas la tête. J’ai la tête solide, et dans ma tête, c’est aussi du solide. Je me tenais debout sur la tête dans le ballet Shéhérazade, où je devais représenter un animal blessé. Je représentais bien l’animal, c’est pourquoi le public me comprenait. Maintenant, je représenterai le sentiment et le public me comprendra. Je connais le public, car je l’ai bien étudié. Le public aime s’étonner, il connaît peu de chose, c’est pourquoi il s’étonne. Je sais ce qu’il faut pour étonner le public, c’est pourquoi je suis certain de mon succès. Voulez-vous parier avec moi que j’aurai des millions ? Je veux avoir des millions pour faire craquer la Bourse. Je veux ruiner la Bourse. Je déteste la Bourse. La Bourse est un bordel. Je ne suis pas un bordel. Je suis la vie, et la vie est l’amour pour les gens. (N)
Quand les tables ne tournent plus et que les fantômes ont disparu, il y a toujours quelqu’un pour faire circuler le journal de Nijinski publié chez Actes Sud dans une traduction de Christian Dumais-Lvowski et Galina Pogojeva et Anachronisme de C. Tarkos chez POL.
Il y a tous les jours des lectures publiques.
On peut voir sur les murs Nijinski en faune dans l’après-midi d’un faune (1913)

Et Christophe Tarkos avec « Je gonfle », « J’ai un problème voilà » et « Tambour et Tombola ».

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