L’alcool est une béquille molle, très molle.
C’est une pâte.
La nervosité s’y coule, à peu près anesthésiée, retenue, contenue, ralentie, cotonneuse, s’y renforce aussi curieusement, s’y ramollit autant qu’elle s’endurcit et c’est ainsi que les alcooliques s’endorment d’un coup et se réveillent en pleine nuit.
Quand tombe la nuit, il est tentant de s’arrêter quelques instants pour regarder les clients qui s’offrent à travers les vitres des bars.
Revient souvent ce souvenir des pays de l’Est et aussi de la neige recouvrant la ville. La neige est si souvent idéale pour les images en noir et blanc. Reparaît, par exemple, ce souvenir de l’Allemagne et de la neige : des Russes à longues barbes et chapkas chantent pour toujours dans les couloirs du métro de Berlin : Kalinka ! Kalinka !
Les salles du Pico Pico, plus de cent, sont remplies de clients. On y mange, on y boit, nuit et jour. Pourquoi en sortir ?
C’est le grand bar éternel. Avec ses rapprochements, ses jalousies.
A ce propos, votre carte postale de la famille Awkward est bien arrivée. J’adore quand vous écrivez sur du papier, vos citations, votre à-propos, votre défense imperturbable des plus faibles.
Cette carte postale est-elle censée représenter l’enfance de notre maire-qui-ne-quittera-la-mairie-que-morte ?
Et merci aussi pour votre citation de Marcel Proust :
Tout ce que nous connaissons de grand nous vient des nerveux. Ce sont eux et non pas d’autres qui ont fondé les religions et composé les chefs-d’oeuvre. Jamais le monde ne saura tout ce qu’il leur doit et surtout ce qu’eux ont souffert pour le lui donner. Nous goûtons les fines musiques, les beaux tableaux, mille délicatesses, mais nous ne savons pas ce qu’elles ont coûté à ceux qui les inventèrent, d’insomnies, de pleurs, de rires spasmodiques, d’urticaires, d’asthmes, d’épilepsies, d’une angoisse de mourir qui est pire que tout cela… (Le Côté de Guermantes, p280-281)