Sherlock Holmes au camping et le visionnaire amateur

Je ne pensais pas aller un jour dans un camping pour rencontrer Sherlock Holmes. Pourtant c’est arrivé. Ce Sanglier, alors.
Sanglier, grand formateur de L’Explorateur Club, détestait que l’on ait des préjugés. Il avait toujours le souci de nous instruire.
Toujours pour nous éduquer, nous permettre de progresser. Toujours avec des exemples pour nous aider à réfléchir, à comprendre, à ne pas nous laisser berner.
Je crois qu’il nous aimait.
On raffolait de ses leçons si libres dans une des grandes salles du Pico Pico.
Nous étions si écervelés.
Longtemps, j’ai été séduit par le dernier qui a parlé.
Ça me poursuit encore.
Sanglier utilisait des histoires très connues mais il avait une façon de les entortiller qui nous emportait.
Nous étions dans son filet. Il ne faisait de nous qu’une bouchée.
Il nous enroulait, nous embobinait, nous balayait avec ses phrases.
Même quand on avait déjà entendu l’histoire, il arrivait à nous tenir dans sa main.
Une fois il nous a raconté comment Sherlock Holmes et le docteur Watson se sont retrouvés en vacances en Ecosse, dans un camping, au bord du Loch Ness, là où vit un monstre aquatique, surnommé Nessie.
Je sais que vous connaissez Sherlock Holmes le détective, pas forcément le Sherlock campeur dans un camping écossais explorant les ruines du château d’Urquhart et l’île Cherry Island, l’île du Loch.
Nous étions comme des enfants devant le feu de bois. Sanglier aurait pu fumer la pipe.
C’est vraiment typique de la façon dont Sanglier nous parlait au Pico Pico, ce grand bar qui dispose d’une centaine de salles sur huit niveaux en sous-sol. C’est vraiment caractéristique de la façon dont Sanglier nous formait, de la manière dont il nous hypnotisait.
Déjà, le camping écossais au bord du Loch Ness il faudrait un peu expliquer. Mais, bref. Il faut imaginer la situation.

Elle est là!

Elle est là!

En tout cas, il faut déjà s’imaginer le camping la nuit, vous pouvez fermer les yeux, et Sherlock Holmes le grand détective, l’homme qui sait connecter tous les détails, le boss de la déduction, Sanglier parlait ainsi :
Ainsi en pleine nuit Sherlock Holmes réveille Watson :
– Watson, réveillez-vous, réveillez-vous, je vous en prie…
– Qu’est-ce qu’il y a Sherlock, vous tremblez… vous êtes en manque?
(Comme vous le savez, Sherlock se shoote à la morphine, la morphine qui tient son nom de Morphée le Dieu du sommeil et des rêves. Il se shoote autant d’opium que de déduction. Il est dépendant de la pensée autant que de la morphine.)
(Nous, quand la coke envahit les dance floor, nous, en reconversion formation d’audit, nous étions à l’écoute.)
– Non, non, Watson, ce n’est pas ça… il y a une question qui me turlupine… dites-moi si vous voyez la même chose que moi et qu’est-ce que vous en pensez?
Watson regarde le ciel attentivement et dit : Le ciel est plein d’étoiles, je n’en ai jamais vues autant par ici… C’est bizarre… Pas un drone non plus… Je peux en déduire que ce pays est en paix… il n’y a pas un souffle d’air, il n’y pas de nuage, il doit être quatre heures du matin, il ne fait pas froid, je suppose que demain il fera beau…
Sherlock : Tststststtsts. Non… Non… Non…
Watson : Bon. Je recommence. Je me concentre. J’inspire. (Sanglier inspire, nous inspirons aussi) Je regarde avec attention le ciel. Je vois la grande ourse, la casserole, la petite ourse, l’étoile polaire, peut-être Orion et le grand chien, je vois la girafe, le dragon, je vois les chiens de chasse et la couronne boréale, je vois la chevelure de Bérénice, je vois les étoiles fixes… Je pourrais en déduire que nous sommes face à l’immensité étoilée… que l’homme est très petit, minuscule dans l’histoire de l’humanité, perdu parmi sept milliards d’êtres humains, je pourrais avoir la sensation de l’infini et méditer sur la condition humaine…
Sherlock : Tststststtsts. Non… Non… Non…
(Nous, on veut savoir, Watson n’en peut plus.)
Watson : Pfffft… Ah oui… Le zodiaque… Comment n’y avais-je pas pensé ? Le soleil vient d’entrer dans le cancer, c’est le début de l’été…
Sherlock : Tststststtsts. Non, non, non…
Watson : Vous m’agacez maintenant… Vous me prenez pour Jackie ?
Sherlock : Regardez bien, Watson… On nous a piqué notre tente.

La formation de Sanglier c’était ça… Observer et encore observer.
Comme historien sauvage c’est aussi important. Surtout dans une grande ville.
Dans une grande ville tout semble en désordre. Or, chaque détail est à sa place.

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Voilà le gymnase « Gandhi-battait-sa-femme-au-début-mais-il-a-su-changer ».

Le bonheur est un pistolet chaud, chaud.

Mlle Piedtenu est à fond dans le bonheur comme arme chaude.

Elle crie : Yes ! Yes ! Happiness is a warm gun !
Nous, on crie avec elle : Yes ! Yes ! Happiness is a warm gun !
Oui, dans le quartier du Pico Pico nous retirons nos chaussures pour aller sauter sur les tapis du récent gymnase Gandhi-battait-sa-femme-mais-il-a-su-changer.
Oui, nous nous souvenons de : « Ce que tu as fait aucune bête ne l’aurait fait. »
Depuis plusieurs années, Mlle Piedtenu est désignée hypercoachette de la ville par un jury d’experts en coach.
Quand, pour me former, Sanglier de l’Explorateur Club (le groupe) m’a envoyé chez elle, j’ai cru reconnaître la fiancée macabre de la série télévisée municipale Le phare, à cause de la blancheur de sa peau, de son goût pour la résille.
Je m’attendais à ce qu’elle me parle du festival de l’enfer (Hell Fest) et du club Vilain-Vilaine (c’est quelque chose, ça). Mais non, elle n’était pas du tout la fiancée macabre. Au contraire.
Mlle Piedtenu a eu l’idée du bonheur comme un pistolet chaud en écoutant la chanson des Beatles Happiness is a warm gun.
Et si vous voulez en savoir plus au sujet de la chanson des Beatles, la porte est ici.

J’ai appris tellement de choses avec Sanglier.
Tellement de choses.
Tellement.
Comme on se sent bête, au début, quand on est devant quelqu’un d’intelligent comme Sanglier.
Peu à peu, grâce à l’influence de Sanglier, nous arrivions doucement à croire que nous aussi nous étions capables. Il nous donnait son talent. Il partageait.
Oui, Sanglier savait nous transporter loin de la terre.
Avec lui on quittait le sol, on volait.
Je revois encore les lettres de néon un peu tordues dans la nuit noire.
J’entends encore nos voix crier dans le gymnase, emmenés par Mlle Piedtenu…

pistolet_chaud

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L’homme soi-disant Jésus-Christ junior.

Pour répondre à vos dernières questions.

1) Oui, j’ai rencontré l’homme soi-disant Jésus Christ junior en anorak avec sa bande dans les quartiers sensibles.

Pour tout vous dire, Jésus junior a répété qu’entre le Bon Coin de la Parole Libre (imitation de Speaker Corner, discours délirants garantis) au Parc Bellagio et la figure de l’homme scrupuleux, perclus d’excès de contrôle (control freak), il est d’avis qu’il est risqué, voire imprudent, de se jeter à la va vite dans une formation pour supporter la vie telle qu’elle est à tout prix.

Le parc Bellagio, la partie chinoise.

Le parc Bellagio, la partie chinoise.

Il est même malsain de conseiller cette formation.

2) Non, je n’ai jamais eu de fiancée numérique et je ne suis pas sûr qu’entre le marché noir pharmaceutique sous la voie express circulaire et le voyage en space cake (gâteau au cannabis) le Marshall McLuhan fan club soit une alternative des plus saines.

Même si le Marshall McLuhan fan club peut vous envoyer sur la lune ou son équivalent.

Oui, je sais, vous allez me dire que vous devez trop souvent relire pour comprendre quelque chose mais je vous promets que je vais essayer de progresser. Je veux m’améliorer.

3) Il est possible de visiter le quartier ville nouvelle expérimentale Tendre-est-la-nuit, c’est quand vous voulez (j’adore être guide).

Sinon il y a le parc d’attractions repoussantes et ses affiches si bien dessinées pour le zen par voie rectale, assurément plus rapide (un avion), ou par voie orale, plus lente (la façon de la marche à pied), en pastille comme le suce-cool. Ça ne s’invente pas.

Choisissez votre voie.

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La dérive en bus de nuit

Depuis ce très long périple de jeunesse aux Etats-Unis, en bus Greyhound, c’est toujours avec un certain étonnement, dans un état d’esprit assez enfantin, que je me suis intéressé au laisser aller en bus de nuit.

Maintenant, dans notre ville, une des dernières modes spirituelles mobiles consiste à monter dans un bus et à descendre, après quatre ou cinq stations, selon l’humeur (important l’humeur), pour emprunter un autre bus, au hasard, changer de parcours sans se soucier d’une destination.

Je ne le pratique pas mais cela me fait envie.

Depuis le XXème siècle nous n’avons pas encore déterminé avec exactitude les conséquences psychologiques des trajets en bus sur nos esprits, quelle modification du cerveau cela entraîne, au fil du temps, mais nous savons que n’importe quel autobus est un moyen pour penser et se déplacer. C’est mondial.

Toute personne qui, un jour, est monté dans un bus le sait. C’est aussi universel que le mouvement. Cela existe sur tous les continents.

La dérive en bus de nuit est simple : monter dans n’importe quel véhicule et descendre à n’importe quel arrêt, pour en prendre un autre et ainsi de suite, pendant des heures, jusqu’à ce que l’on soit calmé.

Changer de bus est une façon discrète et adroite de se changer les idées.

C’est un sport complet. C’est devenu une mode, en ville.

Et comme tout jeu c’est aussi effrayant.

Très peu de gens l’avouent, et encore moins s’en vantent, mais vous n’ignorez pas que les bus la nuit sont remplis de gens qui pratiquent la dérive en bus, pour calmer leurs émotions par exemple. Quand leur cœur bat trop vite, quand elles se sentent trop chaudes, certaines personnes utilisent les transports en bus comme du stop émotion.

Certains le pratiquent en l’ignorant et toutes les lignes de bus ont leur Monsieur ou Madame Jourdain descendus du Bourgeois Gentilhomme de Molière qui découvrent un jour le bus comme autrefois ils ont découvert la prose.

MONSIEUR JOURDAIN

(…) Il faut que je vous fasse une confidence. Je suis amoureux d’une personne de grande qualité, et je souhaiterais que vous m’aidassiez à lui écrire quelque chose dans un petit billet que je veux laisser tomber à ses pieds.

LE  MAÎTRE  DE  PHILOSOPHIE

Fort bien.

MONSIEUR JOURDAIN

Cela sera galant, oui.

LE  MAÎTRE  DE  PHILOSOPHIE

Sans doute. Sont-ce des vers que vous lui voulez écrire ?

MONSIEUR JOURDAIN

Non, non ; point de vers.

LE  MAÎTRE  DE  PHILOSOPHIE

Vous ne voulez que de la prose ?

MONSIEUR JOURDAIN

Non, je ne veux ni prose ni vers.

LE  MAÎTRE  DE  PHILOSOPHIE

Il faut bien que ce soit l’un ou l’autre.

MONSIEUR JOURDAIN

Pourquoi ?

LE  MAÎTRE  DE  PHILOSOPHIE

Par la raison, monsieur, qu’il n’y a, pour s’exprimer, que la prose ou les vers.

MONSIEUR JOURDAIN

Il n’y a que la prose ou les vers ?

LE  MAÎTRE  DE  PHILOSOPHIE

Non, monsieur. Tout ce qui n’est point prose est vers, et tout ce qui n’est point vers est prose.

MONSIEUR JOURDAIN

Et comme l’on parle, qu’est-ce que c’est donc que cela ?

LE  MAÎTRE  DE  PHILOSOPHIE

De la prose.

MONSIEUR JOURDAIN

Quoi ! quand je dis : « Nicole, apportez-moi mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit », c’est de la prose ?

LE  MAÎTRE  DE  PHILOSOPHIE

Oui, monsieur.

MONSIEUR JOURDAIN

Par ma foi, il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j’en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m’avoir appris cela.

 

Comme il y a de l’art brut, il y a de la dérive brute.

Pour ma part j’ai toujours rêvé de ça, surtout à cause de la sensation étrange et mystérieuse, berçante, onirique.

J’ai souvent envie de me mettre à la dérive en bus de nuit parce que j’ai l’impression que je pourrais mieux ressentir notre ville et les efforts de la municipalité pour changer la réalité, pour transformer notre ville en mégalopole globale.

C’est une vaste opération qui a commencé depuis des années.

Noter ville veut l’argent et l’amour, l’est et l’ouest, le nord et le sud.

Par exemple, pour la manière grande ville du nord la municipalité a commandé des immeubles, des buildings, des gratte-ciel, tout en verre. Pour avoir un style grande ville du sud elle a placé des palmiers un peu partout, ce qui donne un petit air d’opérette.

Les villes aussi ont besoin d’être aimées.

Récemment vous m’avez demandé pourquoi je n’avais pas quitté ma ville.

La réponse est simple : Je n’y ai jamais trop réfléchi. La question ne s’est pas posée. C’était peut-être compliqué.

J’avais peur ? Je me demande parfois.

Jamais je n’ai pensé non plus : Ça y est, je vais passer le restant de ma vie dans cette ville. Jamais je ne me suis dit que c’était pour toujours. C’est venu comme ça.

J’ai toujours imaginé que je pouvais partir ailleurs.

Même maintenant, quand j’arpente la ville. Même quand je me trouve devant le grillage aux parapluies retournés, dans la baie aux affaires classées et froides ou au parc Bellagio, fasciné par les statues d’animaux en pierre, le jardin chinois, les ruines pittoresques. J’imagine que je vais peut-être partir ailleurs.

C’est de la nonchalance, peut-être, une absence de souci comme vous me l’avez suggéré. C’est possible. Puisque vous m’avez expliqué que le verbe Chaloir signifiait se soucier et que l’on ne l’utilisait plus qu’en locution.

Peu m’en chaut, je ne m’en soucie pas.

C’est peut-être pour cela (cette nonchalance) que, souvent, j’écoute en boucle Talking Nigga Brothaz par Bibi Tanga et le professeur inlassable dont je suis l’admirateur et qui me plonge à chaque fois dans une profonde et douce rêverie.

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La falaise aux parapluies retournés

Sur la côte, non loin de la plage Evolution des espèces vivantes et de la baie aux affaires classées et froides, sur la falaise abrupte qui, par endroits, ressemble à celles de Rügen (la plus grande île allemande au large de la Mecklembourg-Poméranie en mer Baltique) et où vont se jeter tant de découragés, dont certains spécialistes de rien et beaucoup de contaminés par le fléau contemporain de la mort plus belle que la vie, il y a ce que l’on appelle le long grillage aux parapluies retournés.

Il n’y pas d’installation plus simple que ces parapluies.

C’est très attendrissant aussi.

Des parapluies retournés, tordus, plantés dans un long grillage.

A la fois fragiles et forts, comme chaque vie humaine.

Vous avez déjà vu, il me semble, le documentaire de David Strehler qui a pris pour sujet cette chose étrange, ces parapluies retournés, tordus, plantés dans un long grillage.

Ça fait peur. Vous avez raison.

Le long de la falaise, le mur aux parapluies est d’une longueur d’environ huit cents mètres.

Les services municipaux ont installé ce grillage le long de la paroi calcaire pour éviter les accidents, pour ne pas dire autre chose.

Clairement, ce n’était d’ailleurs pas toujours des accidents.

Dans Le suicide pour les nuls (toujours interdit à la vente libre mais téléchargeable sur la Toile Noire), l’endroit est cité à deux reprises.

On ne sait pas qui est la première personne venue planter un parapluie retourné et quel sens cela avait exactement pour elle.

On peut imaginer une grande déception.

Vous imaginez comme elle est grande cette déception et attirante.

Le charme se nourrit de la déception.

Un jour quelqu’un a soupçonné un membre du Claude Lévêque fan club d’être à l’origine du premier parapluie retourné.

Comment avait-on aussi relié ce membre du Claude Lévêque fan club à Charles Manson, criminel américain condamné à la perpétuité, entre autres pour sa responsabilité dans le meurtre de l’épouse de Roman Polanski, Sharon Tate ?

Peut-être, m’aviez-vous suggéré, à cause de la phrase « Each night, as you sleep, I destroy the world » (la nuit quand vous dormez je détruis le monde) ?

Un fan de Claude Lévêque qui aurait voulu imiter une de ses installations ? Mais au lieu d’accrocher le parapluie au dessus de sa tête il l’aurait planté fermé, à l’horizontale, dans un grillage? Est-ce que c’est probable ?

Vous croyez ça possible ?

Fan de Lévêque à Dallas (Texas)

Fan de Lévêque à Dallas (Texas)

On ne sait pas non plus comment c’est devenu une habitude, comment les gens ont eu envie de faire ça à leur tour, de planter des parapluies retournés dans un grillage.

Selon une étude sociologique d’Hypnos, ce sont d’abord de très jeunes gens, des adolescents, presque des enfants (pas des enfants meurtriers mais de simples adolescents), qui sont venus planter un parapluie retourné dans ce long grillage. On ne sait pas vraiment pourquoi. Peut-être pour signaler un deuil, une séparation, un malheur, une profonde tristesse ?

Je reconnais avec vous qu’il y a des adolescents de quarante ans.

Et pourquoi un parapluie ? N’est-il pas aussi un symbole de l’antidépresseur ? De la protection ?

Tous nos experts d’émission psychologique ont évoqué un degré d’infantilisme dans ce geste d’accrochage massif (massif, rappelons-le) d’un parapluie retourné.

Quelques-uns, les plus traditionnels de nos analystes et de nos experts psychiques, avancent une raison sexuelle.

A cause du grillage, à cause du parapluie, à cause des baleines.

L’habitude a été prise et s’est développée chez nous, dans notre ville, comme celle des cadenas d’amoureux sur les grilles et les ponts.

D’abord une dizaine de parapluies retournés, puis très vite une centaine. A la Noël nous en comptions au moins un millier.

C’est devenu une attraction touristique très photographiée.

Les opérateurs de tourisme morbide s’y arrêtent toujours.

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Ecriture murale

Eux-mêmes souvent déguisés en formateur, conseiller du cabinet de l’ombre ou même expert en shadow cabinet (cabinet de l’ombre), consultant vicieux, coach satisfait ou remboursé, voyante à boule ou sans, professionnel de la prospective, de la religion, du développement personnel, les traqueurs de maîtres à penser ou de gourous ont beau multiplier les actions de prévention et de mise en garde, les murs de la ville sont de plus en plus envahis de phrases injonctives ou impératives.

Ecrire sur les murs est devenu commun.

Les ateliers d’écriture murale sont encouragés.

Les médiateurs urbains ne sont pas les derniers à inciter la création, si possible sur les emplacements autorisés et prévus à la liberté d’expression.

La ville se couvre d’injonctions, des plus courantes aux plus sophistiquées, des plus correctes ou plus obscènes.

C’est une frénésie d’écriture murale.

Dans un éditorial récent et argumenté, le journal de notre ville (toujours au bord de la faillite, (un de nos derniers quotidiens qui sort sur la terre comme au ciel (en papier et sur la toile))) L’Etoile du Matin a qualifié le phénomène de pathologie galopante.

Je ne sais pas s’il est vraiment raisonnable d’affoler la population en évoquant une pathologie galopante, symptomatique de l’injonction consacrée : C’est votre droit d’écrire.

Ces injonctions, instructions, sont en général des phrases courtes, écrites à la main sur les murs mais parfois sous la forme de phrases lumineuses, avec des lettres néon.

Au passage il me faut signaler que, contrairement à ce qui se colporte, néon n’est pas un clin d’œil ni une référence à néonazi.

Ces lettres néon sont fixes la plupart du temps.

Parfois elles sont électroniques et défilantes selon les moyens des auteurs et les espaces réservés.

Par exemple, parmi ces phrases en vogue on peut lire :

SOIS ENCORE PLUS TOI !

Fréquentes aussi :

LUMIÈRE INTÉRIEURE POUR TOUS ! (Vous avez dû la voir, c’est la première phrase que l’on peut lire en sortant de la gare)

Un peu plus loin, avant le grand escalier, près de la statue du grand reporter de l’extrême où se tourne souvent des scènes d’Abrutie Ville (le jeu, la série) il y a :

NE FAITES PAS COMME LES AUTRES !

Souvent on trouve en lettres rouges :

REJOINS L’ÉQUIPE DU DIABLE !

La traditionnelle :

VOTRE MEILLEUR AMI EN FAIT PARTIE ET VOUS NE LE SAVEZ PAS !

Ou la classique :

TU AS DU MAL À TE TROUVER ?

 

cabinet de l'ombre

cabinet de l’ombre

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Chasseurs de gourous

Bien qu’ils se dissimulent la plupart du temps, vous avez dû remarquer en ville la présence des chasseurs de gourous.

Notre monde s’est autorisé à devenir méfiant.

Il s’est autorisé à devenir méfiant pas seulement avec des caméras et des moyens de traçage électronique mais avec tous les moyens disponibles.

Qui a le plus peur ?

Ces gourous (qui pullulent) ne sont pas si faciles à débusquer parce qu’ils sont de plus en plus souvent grimés en formateurs, consultants, prophètes bénévoles, coachs, voyantes, psys, spécialistes de la prospective, de la politique…

Vous avez bien dû l’observer aussi que ces gourous, qui galopent dans la ville, parfois se dissimulent avec habileté en formateurs, consultants, coachs, voyantes douces, psys, prophètes affables, prêcheurs avenants, spécialistes de la prospective, parce qu’ils se sont adaptés, camouflés, maquillés et organisés pour tenir à distance leurs traqueurs, leurs poursuivants.

Et là-dessus il faut constater que, malheureusement, souvent ils réussissent à berner les détecteurs de gourous aussi futés et dégourdis soient-ils.

A force de se déguiser, tous sont devenus extrêmement malins et débrouillards, avec leur air enfariné et désintéressé, infiltrés jusque dans les repas de voisins.

Que s’est-il passé ensuite ? La réponse logique. Les traqueurs de gourous aussi ont compris qu’ils devaient ruser et se camoufler.

Alors ils s’infiltrent partout, à leur tour, et se déguisent à tous les endroits, en bons parents, en bons amis, partout où ils ont des chances de rencontrer un fou de développement personnel, un mielleux mentor du conseil en tous genres, un obsessionnel de la directive, un enragé de l’éducation, un acharné de la recommandation, un guide dans l’âme.

De plus, quand ils s’exhibent, se montrent, se dévoilent, les chasseurs de gourous ont tendance à s’habiller de la même façon que leurs proies. Tous les chasseurs de tendance (cool hunter) l’ont remarqué.

Comment ne pas constater qu’ils sont surprenants ?

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Marche en ville

La pratique de la promenade, de l’errance en ville, est venue peu à peu.

Au début c’était juste pour la détente.

Maintenant, je marche tous les jours en ville, longtemps, parfois jusqu’à m’épuiser.

Je vais souvent au parc Bellagio, fasciné par les statues d’animaux en pierre que j’y trouve. Peut-être parce que, à force d’arrêt, à force d’être sorti du circuit professionnel, je suis persuadé de m’être un peu pétrifié.

Vous m’avez conseillé un jour le miroir d’Italo Calvino pour regarder la réalité, la Gorgone. Vous avez raison. Il ne faut pas regarder la réalité trop en face (par exemple l’autobiographie directe) sous peine d’être médusé. La force de Persée devant la Gorgone c’est le refus de la vision directe.

Vous aviez cité une phrase d’Italo Calvino précisément : C’est toujours le refus de la vision directe qui fait la force de Persée, et non un refus de reconnaître la réalité du monde de monstres parmi lesquels il lui faut vivre ; cette réalité, il la porte en lui et l’assume comme un fardeau personnel. (Italo Calvino, Leçons américaines, p 22).

Il n’est pas inutile d’apprendre à ne pas rester trop longtemps sur la préparation d’un projet, sinon c’est prendre le risque de se désintéresser, de se désenflammer.

D’autre part, il ne faut pas trop peaufiner.

Il ne faut pas non plus attendre le moment idéal, et encore moins la perfection, sinon, si l’on ne se jette pas à l’eau, on finit souvent par se lasser, s’en détacher et s’endormir comme la biche meurt sous les griffes et les dents du félin. L’insatisfaction est une alliée du manque de confiance et le manque de confiance un allié de la procrastination. La procrastination est un tueur lent mais sûr. Projet trop attendu, projet foutu.

C’est ce qui arrive dans la majorité des cas. Mais pas dans tous les cas.

Il y a des exceptions remarquables, comme celle d’Elias Canetti par exemple, une des premières rencontres marquantes au Pico Pico (j’y reviendrai).

Elias Canetti a commencé de concevoir son livre Masse et Puissance en 1925. Pendant douze ans il y a mûrement réfléchi. Toutefois, vous le savez, il ne s’est pas tout de suite jeté dans l’affaire.

Un peu par hasard, j’ai appris qu’il avait vraiment attaqué Masse et Puissance en 1937 (l’année du second grand procès de Moscou et de la grande terreur, de l’exposition de l’art dégénéré en Allemagne et de la destruction de la ville de Guernica par les avions d’Hitler pour donner un coup de main à Franco).

Douze ans à réfléchir sur le projet, ce n’était donc pas sur un coup de tête qu’Elias Canetti l’avait entrepris. On peut raisonnablement penser qu’il était plus déterminé et tenace que velléitaire et mou.

Ce n’est pas tout.

Commencé en 1937, il a terminé Masse et Puissance vingt deux ans plus tard, en 1959 et publié en 1960. Plus personne n’y croyait. Un genre de situation attirante.

Dans notre ville, les fans de Canetti connaissent sa bibliographie.

Au Pico Pico (le gigantesque bar aux salles infinies) il y a une salle Canetti en mémoire d’Elias Canetti, on y sert un excellent café. Il y a du café turc, du café allemand et du café italien.

A l’entrée de la salle Canetti on peut lire : Né en 1905 en Bulgarie, sur la rive sud du Danube Elias Canetti écrivait en allemand. Devenu britannique en 1952, il a reçu le prix Nobel comme écrivain autrichien en 1981 et il est mort en Suisse, à Zürich, en 1994. Il est enterré dans le cimetière de Zürich à côté de Joyce.

Curieusement, tout ceci est aussi inscrit sur une plaque en marbre à l’entrée du cimetière municipal L’Entrée définitive et je ne sais pas encore pour quelle raison (mise à part que, pour augmenter ses revenus, l’administration de L’Entrée définitive loue des emplacements d’expression libre).

On m’a raconté que le fantôme d’Elias Canetti traîne souvent dans notre ville et, les jours froids, paraît-il, vous me croirez si vous voulez, il écrit sur la buée des vitres : Juste fais le.

Protection et sommeil

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Historien sauvage

Vous savez que je n’ai pas la prétention d’écrire un guide de la ville même si parfois l’allure, le principe, la forme, la présentation des extraits de cette correspondance, n’en sont pas loin.

Je n’ai pas encore trouvé de mots pour définir avec précision ma place, ma fonction.

On pourrait dire historien sauvage mais aussi bien interprète, recenseur, chroniqueur, ethnologue, dénombreur, documentariste ou archiviste.

La définition exacte de l’historien sauvage, je ne l’ai pas.

Ce n’est pas faute d’avoir cherché.

Disons que l’historien sauvage est tout simplement un historien non officiel, à son compte, qui ne travaille dans aucune université ou école, qui ne dépend de personne et qui ne s’autorise que de lui-même à poursuivre son activité, à exercer sa pratique : semi-archiviste, semi-interprète.

Il est difficile de vous dire franchement ce que l’on ressent quand on commence une pratique d’historien sauvage. C’est probablement la sensation d’être dans une impasse, de ne plus avancer, de se sentir bloqué.

C’est une façon de se perdre autant que de se sauver.

Il y a une seule voie : foncer droit devant, éliminer ce que tout le monde sait par cœur, même si ça fait mal d’écarter tant de choses qui pourraient venir se greffer et enrichir la production.

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