Cet homme vient doucement du nord de l’Angleterre comme s’il descendait d’un pays perdu et inaccessible. Durant des années il n’a connu que la pluie froide, les briques noires, le vent, la bière, tout ce qui peut caractériser un paysage désolé et désolant, dévasté, parce que sa mère, d’origine anglaise était retournée s’installer dans sa famille avec lui encore enfant, âgé de neuf ans.
Vingt ans plus tard, il revient dans la ville française de sa naissance pour essayer de rencontrer son père qu’il n’avait plus vu depuis que sa mère l’avait emmené loin, dans ce nord de l’Angleterre fait de pluie, de fish and chips et de briques noires. De plus ils ont habité un quartier qui, selon lui, ressemblait à un cadavre post-industriel.
Il parle le français avec un accent légèrement anglais. Enfant, il appelait la ville où vivait son père : Illusion ville. Quand pourrais-tu venir à Illusion ? Quand quitteras-tu Illusion pour venir me voir en Angleterre, la terre des Angles, la Britannia. D’où viennent les Angles ? D’où vient Britannia ? Les bretons ? Pas de réponse du père.
Illusion n’était pas une invention.
Son père était un pianiste de croisière sur les croisières de la compagnie l’ILLUSION. Il partageait sa vie avec une conférencière de croisière qui donnait des conférences et animait les débats, parce que les croisiéristes étaient friands de débats et de pianistes. Tous les deux n’habitaient nulle part, au gré des croisières.
Comme il a subi la propagande extensive de sa mère (Jennifer), Johnny a peur que son père soit quelqu’un de barré et d’irrécupérable.
« Ton père est dingue mais je m’en suis aperçue trop tard. C’est un real gone (complètement barré), tu ferais mieux de ne pas aller le voir. De toutes façons c’est un type pas bavard. Du genre The Barber, l’homme qui n’était pas là (le film des frères Coen), aussi fumeur mais dans une version pianiste. Et un champion pour ne pas être là, un roi de l’absence. Avec un magnifique tatouage dans le dos. Une colombe verte plutôt psychédélique dont le corps est couvert de petits bonhommes qui dansent nus. C’est tellement beau. Je croyais avoir rencontré un homme étrange et différent. Pendant des mois je planais. Nous sommes allés voir ensemble The Baker boys de Steven Kloves, j’aurais dû me douter de quelque chose en voyant ton père si enthousiaste pour ce film, l’histoire de deux frères pianistes en fin de course qui se produisent en duo dans des clubs où personne ne les écoute. Tu es arrivé très vite. C’était wonderful. Au-delà de Wonderful, bien plus fort, je ne touchais pas le sol. Puis peu à peu je suis retombée. Je suis retombée de plus en plus. Je n’avais pas vraiment compris le sens de sa phrase : Tout le monde pense à partir d’ici. Je répondais que tout le monde partout pense partir un jour de l’endroit où il est né, parce que c’est une solution de facilité de penser que partir est une solution quand on est mal. Et puis il s’est pris de passion pour ces énormes bateaux et il ne s’est senti que vivant là-dessus, ces énormités flottantes et comme il n’aurait jamais pu être marin ni faire autre chose que de pianoter, il est devenu pianiste de croisière et j’ai décidé de retourner en Angleterre, rentrer chez moi, j’en avais marre de l’attendre pendant qu’il s’absentait durant des semaines sur ces navires à plusieurs étages.
La vérité (une des vérités ?) sur les raisons du départ de ton père en croisière éternelle est qu’il est tombé peu à peu dans notre ville du nord de l’Angleterre, sans s’en rendre compte, amoureux de la déception et qu’il lui a fallu réagir s’il ne voulait pas sombrer. Ainsi, il a réagi en s’embarquant pour ces croisières où la déception est permanente, de port en port.
Ton père a toujours masqué son inquiétude derrière de la politesse. »
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Mmm..? Est ce que je suis ici car je suis tombée amoureuse de la déception ?? Malgré le soleil et la mer,je crois que oui…