Parmi la centaine de salles du Pico Pico, quelques-unes sont dédiées au karaoké.
Chaque salle du Pico Pico est dans un style différent, aussi bien le décor que le contenu.
En karaoké, y a le disco, l’opéra, la chanson à texte, l’opérette, le rap…
De temps en temps, c’est un plaisir d’aller au Karaoké Bleu, au troisième sous-sol du Pico Pico. Il tient son nom de la couleur bleue qui couvre ses murs et ses plafonds, de la couleur bleue des vêtements du personnel.
Le Karaoké Bleu a la réputation d’être spécialisée en chansons tristes, ce qui n’est pas tout à fait exact. Il n’y a pas que de la tristesse au Karaoké Bleu. Loin de là. Il y a aussi d’extravagantes chansons.
Paradoxalement, ce sont les chansons sinistres et sombres qui soulèvent le mieux l’enthousiasme du public. D’où cette notoriété.
Il y a des clients pour y pleurer avec entrain.
Durant certaines sessions, selon la légende, on a vu des gens se noyer dans leurs larmes.
Depuis ces regrettables noyades, les membres du personnel ont passé un brevet de secouriste.
Le karaoké vient de kara (raccourci de karappo, le vide) et de oké (raccourci de okesutora, orchestre).
L’idée initiale américaine daterait de la fin des années cinquante quand le crooner américain Mitch Miller animait l’émission Sing Along avec son petit côté diablotin. Il a vécu jusqu’à quatre vingt dix neuf ans. Les paroles s’affichaient à l’écran et l’on chantait avec lui.
Il arrivait aussi qu’une balle (bouncing ball, balle rebondissante) rebondisse sur les paroles quand il fallait les chanter.
C’est toutefois un Japonais, Kisaburō Takagi, qui dépose la marque Karaoke quand il a l’idée d’une machine pour jouer uniquement la musique des morceaux afin que les gens puissent entendre leur voix.
C’était la fin de l’été, un jour de vent jaune chaud et de sable venu d’Afrique sur la ville, quand je me suis rendu pour la première fois au karaoké bleu.
Dès le début j’ai adoré suivre la balle rebondissante, la boucing ball.
Parfois j’en voudrais une dans la vie pour m’indiquer ce que j’ai à dire.
Il y a toujours beaucoup de monde au Karaoké Bleu, même en hiver quand le vent est froid et que sur les trottoirs, debout, ne subsistent pratiquement plus que des artistes marcheurs.
Les artistes marcheurs sont increvables et tenaces.
Aussi tenaces et inlassables que les managers du Philosophie Business.
Maintenant que j’ai fréquenté le Karaoké Bleu à toutes les saisons, je le sais. C’est un aimant.
On y trouve tous les styles de clients et de karaoké.
On y pratique le karaoké de façon intensive et profonde.
On met sa peau sur la table comme dit la chanteuse du groupe Pom Pom Girls Désinhibées.
On ne sort pas indemne de ce décor extrêmement marquant, toutes ces formes bizarres et cette odeur.
Tous les témoins s’accordent là-dessus : cela ressemble, au moins les premières fois, à un rêve éveillé, comme un voyage étrange sur une autre planète à dominante bleue.
J’espère que vous pourrez y venir un jour.