Il habite non loin du port, non loin de la Tour Solitude et la nuit, pour lui rappeler son enfance, il ne lui reste que les oiseaux de mer qui pleurent et raillent dans le ciel et encore pas toutes les nuits. Peut-être exagère-t-il ? Oublie-t-il la circulation automobile ? Et les cris des êtres humains ivres et bagarreurs ou hilares la nuit les oublie-t-il ? Est-il comme ces chiens qui veulent toujours attirer l’attention et se faire caresser ? Sa seule amie fidèle et sûre est-elle la plainte ? Peut-être que non.
S’il retrouve de vieilles photos, il ne peut s’empêcher de les commenter. Quand il agit ainsi, il sait qu’il a quelque chose de William G. Sebald qui aurait probablement aimé construire un site et mêler textes et photographies et commenter à travers les sujets.
« Sans doute sont-ce des souvenirs enfouis qui confèrent un caractère singulièrement hyperréaliste à ce que nous voyons en rêve. Mais peut-être aussi que c’est autre chose, une sorte de brume, de voile à travers lequel, paradoxalement, tout nous apparaît plus nettement en rêve. » (Les anneaux de saturne, Sebald)
Combien de fois il aurait aimé être désabusé, sombre et riche et voyager comme Sebald dans la campagne italienne ou anglaise, imprégné d’un chagrin indicible et descendre dans de bons hôtels, visiter des villes riantes pour en chercher l’ombre, prendre sans cesse et à la moindre contrariété le train qui vous berce et vous dorlote à travers la campagne.
« Le souvenir, ajoutait-il dans un post-scriptum, m’apparaît souvent comme une forme de bêtise. » (Les émigrants, Sebald)
La science-fiction ne l’intéresse plus. Il y croyait, il n’y croit plus. Cela aussi, il a fallu l’abandonner.
Ô comme ça libère !
Quand on n’attend rien, on est bien moins déçu.
Mais la déception a beaucoup de charme.
Qu’est-ce qu’un charmeur sans déception ?
Chaque jour dans Notre-Ville, et en particulier au Pico Pico, on assiste à un come-back pathétique de vieux tubes, même si les vieux tubes savent parfaitement qu’ils sont devenus de vieux tubes dont on se dit : « Tiens, il est encore vivant ? »
Il tombe sur le conseil de Pivert, égérie professionnelle. « Il ne faut pas oublier de placer des hamacs pour se reposer dans la vie, pour respirer, récupérer. C’est important. Ne les oublie pas. N’oublie jamais de disposer des hamacs pour ceux qui t’accompagnent. »
Pivert passe son temps à rêver des morceaux de réalité. Elle les emboîte, les transforme, les mélange, les tord, les défait, les redispose, leur donne des titres, les met en boucle, les trafique, les étire.
Mais elle ne finit rien. Il ne lui reste que de petits bouts de la vie étalés devant elle.
Elle n’aime que les commencements.
Tous ses débuts la fatiguent, tous ses débuts l’excitent. C’est un accélérateur et un frein. Elle est dans un souterrain et dans le ciel, en montagne et sur l’océan. Elle se sent libre et enfermée, cloisonnée et sans limite.
On dit qu’elle procrastine et qu’elle en fait trop, qu’elle anticipe et remet à plus tard, qu’elle souffre et vit dans le plaisir.
Elle a mixé Se distraire à en mourir de Neil Postman (1985) avec les carnets de Cioran.
Avec Postman elle a commencé par quelques phrases : « Orwell nous avertit du risque que nous avons d’être écrasés par une force oppressive externe. (…) Huxley sait que les gens en viendront à aimer leur oppression, à adorer les technologies qui détruisent leur capacité de penser. Orwell craignait ceux qui interdisaient les livres. Huxley redoutait qu’il n’y ait même plus besoin d’interdire les livres car plus personne n’aurait envie d’en lire. Orwell craignait ceux qui nous priveraient de l’information. Huxley redoutait qu’on ne nous en abreuve au point que nous en soyons réduits à la passivité et à l’égoïsme. »
Une saison, elle a décidé qu’elle deviendrait répugnante. Ce n’est pas si facile. Surtout quand on le veut. Comme beaucoup de choses qui deviennent inaccessibles à partir du moment où on les désire trop fort.
– N’y croyez pas trop. Suivez le conseil donné par Hubert Lucot : « Pour vivre, survivre, s’en foutre (un peu). »
As-tu déjà essayé d’être une personne répugnante ?
C’est délicat. Je ne parle pas de l’apparence physique. Je parle du comportement. Je veux dire : As-tu essayé d’être une personne répugnante uniquement en posant certaines questions ?
Elle s’obsède sur certains trucs. Quand il pleut, en hiver, la ville se remplit d’eau et se vide de ses piétons. La pluie froide mène au vide. La pluie transforme la ville en baignoire sale.
Elle a de mauvaises habitudes comme d’écrire au rouge à lèvres sur le miroir de la salle de bains de ses amants, savourant le plaisir d’imaginer leur tête quand ils découvrent la phrase qu’elle a inscrite.
Son téléphone est full of quotes (plein de citations).
Elle ne reste avec personne.
Elle écoute Welcome Home de Radical Face.
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