Quand le matin par chance j’aperçois à travers la fenêtre celle que l’on surnomme la Reine d’Angleterre assise dans le side-car et Jeanne (surnommée) d’Arc à côté, qui pilote la moto dans la cour aux vieilles granges, avec tant de souplesse, de dignité, un air d’abandon touchant sur leurs lèvres, je me demande comment la résignation de l’une et la révolte de l’autre peuvent donner (comme un arbre donne) un si beau fruit.
Ce fruit apaise mon fauve.
Mon fauve apparaît malgré moi à certains moments et toutes les deux, chacune à sa façon, laissant tomber moto et side-car, me remettent sur ma voie sereine et la bête finit par abandonner le terrain et retourner dans un des parcs de mon esprit (ma savane intérieure), conçu pour le repos des sauvageries et le calme des dragons intérieurs, là où l’animal peut s’endormir, ronronner et rêver comme seules les bêtes savent le faire.
Il me faut sortir tout ce qui me passe par la tête, c’est la meilleure méthode, et ranger ensuite la balançoire qui va d’une idée l’autre sans jamais pouvoir s’arrêter ni se fixer.
Enfin, j’efface certains morceaux de ma production, des pans entiers parfois.
Apprendre à jongler avec des planches pourries nécessite patience et ténacité. Des planches pourries sortent les meilleures choses.
Jeanne me murmure à l’oreille avec sa voix si jeune : Si tu veux écrire des aventures, assieds-toi sur une chaise. Si possible dans une pièce dont la fenêtre ne donne sur rien d’extraordinaire.
Avec Jeanne et la Reine il nous arrive de jouer au football tous les trois à la nuit tombée et de finir dans le noir comme Maradona le faisait quand il était enfant et pauvre sur un terrain vague en Colombie, jouant ainsi dans le noir et apprenant à ne jamais suivre le ballon des yeux mais à l’instinct, à la sensation, du bout des pieds. Ses pieds, le ballon, la nuit.
Cette recherche de l’instinct m’a donné envie de grandir.
Certaines personnes grandissent très tard. À soixante ans, le monde s’éclaire doucement en elles, jusqu’à former des images et elles commencent à comprendre et voir.
Il suffit parfois d’une image pour une révélation.
Jeanne et la Reine adorent l’affiche de Butterfly Dream par Tadanori Yokoo.
Mais quel mystère…
Quand j’entraperçois l’oreille du loup, je ralentis, je respire profondément, j’aspire par les narines, souffle par la bouche. Le loup n’est pas dupe mais peut-être est-il indulgent.
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