Du meilleur ouvrier en cuisine nous sommes passés au chef d’entreprise.
Nathan Moller explique ça à Joseph qui étudie l’histoire de la cuisine. Du dix-neuvième siècle au XXIème siècle.
Tu me diras, Joseph, que l’entreprise est partout, non ?
La plupart des chefs d’État adorent l’expression : il faut renégocier. Ce n’est pas pour rien, non ? Ils parlent en chefs d’entreprise plus qu’en présidents politiques.
Et depuis le XIXème siècle ? a demandé Joseph que la cuisine intéresse. Au vingt-et-unième siècle ?
Eh bien, au XXIème siècle, le chef en cuisine se dirige franchement vers l’artiste, assure Nathan Moller. C’est une figure nouvelle d’entrepreneur.
Pourquoi franchement ?
Parce que ce n’est pas tout à fait nouveau. Au début du XIXème siècle, déjà, enfant abandonné et autodidacte, Antonin Carême (1784-1833) deviendra le champion de la pâtisserie artistique (rien à voir avec le patinage). Il mutera en boss de la pièce montée, le roi des cuisiniers, le cuisinier des rois, probablement l’un des premiers chefs qui invente une manière de cuisinier comparable à la façon d’un artiste, fasciné par l’architecture classique qu’il copie, étudie et dessine pour la transposer en pâtisserie.
C’est l’auteur du pâtissier pittoresque ?
Oui.
Oh mon dieu !
N’exagére pas, Joseph.
Cela dit, l’artiste n’est guère fréquent dans le monde des cuisines. La figure est plutôt récente.
Au dix-neuvième siècle, le chef est surtout le meilleur ouvrier (même si le titre de meilleur ouvrier n’a été créé qu’en 1924).
Le plus souvent, selon l’image d’Épinal, quand il n’est pas en colère et qu’il sait contenir sa rage et sa fureur entretenues par le feu, les fourneaux et le rythme du service, en dehors de la cuisine, le chef est la plupart du temps muet. On le dit taciturne bougon, bourru, parfois grincheux, susceptible dans tous les cas, soupe au lait, et on ne lui donne jamais la parole. Que nous dirait-il ?
Du matin au soir il reste dans la cuisine, il ne parade pas, il n’est jamais à la Une. La publicité, la gloire, les feux de la télévision commencent sans lui.
Au vingtième siècle, le chef sort de la cuisine.
Il organise des concours, des prix, montre sa bobine.
Après la deuxième guerre mondiale, il descend dans les salles à manger de la clientèle par la fenêtre de la télévision.
Il donne des recettes sur un écran noir et blanc.
Le chef de cuisine devient aussi chef d’entreprise, il monte des affaires.
Il ouvre des restaurants, crée des concepts, écrit des formules et des projets, invente des tendances, élabore des façons de servir, de cuire, de goûter, imagine des alliances de goûts inattendus, prend de l’assurance et des avions. Il se développe, il prend parti, il représente la ville, la région, la France, il voyage à l’étranger, il gagne des concours, il rapporte des médailles. Il communique. Il se sent ambassadeur, avocat, engagé. Il a plus d’une carte.
Sont nées la gestion et, surtout, la communication culinaire.
Le chef n’est plus silencieux au fond de sa cuisine et il parle de plus en plus. Il l’ouvre. Devient loquace. Il multiplie les interviews, écrit des livres, anime des émissions. Met son grain de sel, conseille, défend, argumente, crée des tendances. On l’écoute, l’imite, le copie, le plagie. Il se défend des attaques, il invente, il brille.
On le voit apparaître à la télévision, on l’entend à la radio, on le lit dans les journaux.
Il va au spectacle, tout devient spectacle, il se rapproche des stars, des lumières et de la jet set.
Au vingt-et-unième siècle, voilà l’artiste. Il faut le suivre dans ses recherches, accepter ses propositions, entendre sa présentation, l’écouter décrire ce qu’il vous offre. Il approfondit, il cherche, il fouille les marchés, découvre, visite, revisite, resitue, remet au goût du jour, devient l’apôtre du circuit court, dénonce, défend, chasse les saveurs, en crée de nouvelles, il s’autorise, il transgresse, il triomphe, il semble sans limite. Il est beaucoup plus question d’expériences, de sensations nouvelles, d’effets, de performances.
Nathan Moller a quelques idées sur l’art et la cuisine.
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