Les zombies sont

Pour le metteur en scène Vincent Gallatino, le zombie n’a pas de sexe, n’a pas d’identité, depuis toujours, n’a pas d’opinion politique, n’a pas d’appétit ni de revendication, depuis longtemps c’est l’homme ou la femme de la rue, l’homme ou la femme de la meute ou du banc public perdu dans le vide, le désert, la zone froide, là où c’est rien. C’est l’homme ou la femme au cabas ou à la valise à roulettes grinçantes qui disparaît au coin de la rue, là où le dessin s’estompe, celui qui passe loin des fêtes, des flonflons, des barbes à papa, là où les couleurs pâlissent, l’anonyme des grandes villes qui longe les murs et les stades éclairés la nuit…
Le zombie c’est le soldat inconnu de la majorité muette qui est enterré sans nom ni épitaphe dans un cimetière mal entretenu aux grilles rouillées et grinçantes, aux tombes défoncées…
C’est lui l’ombre silencieuse sur le mur lépreux que personne ne remarque… la marchande de bonbons à la verrue, édentée… la chanteuse des rues au maquillage dégoulinant…
C’est la spectatrice au fond de la salle qui se déchausse parce qu’elle a mal aux pieds… pendant que le client de la boulangerie se demande si l’on peut s’acheter un gâteau des rois quand on est seul… la joueuse de machine à sous perdue parmi des centaines de joueuses qui tapent du pied en écoutant la chanson du bonheur… le joueur de cartes dans l’arrière salle d’un bar discret qui lit des Simenon jaunis sous une reproduction de peinture…
C’est la passante anonyme qui flâne devant les vitrines un soir d’automne avec un parfum entêtant et son rêve de rendez-vous du samedi soir… C’est le caissier au sourire affable dont on ne sait rien du tout et qui continuera affable jusqu’au jour où il aura disparu… le promeneur de chien sur le trottoir qui traîne un air d’ennui et de fatigue ainsi qu’un petit chien insouciant en apparence… le profil mou dans l’ombre qui s’efface près du lampadaire où l’on a envie de venir chercher ses clés parce qu’il y a de la lumière… le buraliste aux grandes moustaches qui a les yeux vitreux et qui transporte des sardines dans un journal aux nouvelles peu fraîches…
Le zombie c’est aussi la silhouette qui tremble un peu au coin de la rue avant le boulevard et les grands arbres noirs qui feraient de beaux sujets de fusains… le téléspectateur assis dans son canapé abîmé devant une petite table et une assiette de chips… la vieille dame qui attend le bus qui ne vient pas… le type seul sur un banc du jardin municipal avec son vieux journal trouvé, le témoin de l’accident qui ouvre grand ses yeux.
C’est le voisin qui fume près de chez vous… l’abonné mensuel du métro… l’invitée surprise… l’internaute à pseudonyme… la caissière souriante du nouveau magasin… la téléspectatrice qui a l’air de poser pour un tableau de Edward Hopper… le flâneur qui observe la péniche sur le fleuve et aussi le client qui pousse son caddie au supermarché… la cliente de l’épicerie qui va lire un livre de Patrick Modiano dans le train qui l’emmène voir son fils à Concarneau…
C’est le voyageur solitaire qui débarque la nuit dans une ville pluvieuse et froide où les trottoirs luisent et les chats miaulent.
Les zombies, tout les déchire, dit Vincent Gallatino le réalisateur. Leur vie est en lambeaux mais ils ne veulent pas le savoir.
C’est nous quand nous ne sommes pas des clowns, prétend aussi l’auteur de la théorie Clown ou zombie.
C’est nous à la fin de l’année. C’est nous.
automat
Edward Hopper. Automat. 1927.

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