Les hackers en ont ruiné des poèmes si magnifiques, en s’infiltrant dans les fichiers numériques, partout où ils le pouvaient, pour ajouter, par exemple, à la fin de chaque vers par devant ou par derrière…
Ils ont aussi osé toucher aux comptines.
Des centaines d’exemples désolants envahissent les téléphones des enfants.
Où veulent-ils nous mener, ces pirates ? La cruauté ? L’insomnie généralisée ?
On court partout en essayant de rectifier une des plus grandes cyberattaques de tous les temps.
L’opération nommée Par devant et par derrière.
C’est navrant, absolument navrant, qu’il s’agisse de Rimbaud :
Ô saisons, ô châteaux, par devant
Quelle âme est sans défauts ? par derrière
Ou
J’ai fait la magique étude par devant
Du Bonheur, que nul n’élude par derrière
De Baudelaire :
Sur l’oreiller du mal c’est Satan Trismégiste par devant
Qui berce longuement notre esprit enchanté, par derrière
Et le riche métal de notre volonté par devant
Est tout vaporisé par ce savant chimiste par derrière
La Fontaine :
Maître Corbeau, sur un arbre perché par devant,
Tenait en son bec un fromage par derrière .
Maître Renard, par l’odeur alléché par devant,
Lui tint à peu près ce langage par derrière
Germain Nouveau :
Comme une ville qui s’allume par devant
Et que le vent achève d’embraser, par derrière
Tout mon cœur brûle et se consume, par devant
J’ai soif, oh ! j’ai soif d’un baiser par derrière
Apollinaire :
Sous le pont Mirabeau coule la Seine par devant
Et nos amours par derrière
Faut-il qu’il m’en souvienne par devant
La joie venait toujours après la peine par derrière
Pourquoi ces hackers essayent-ils de détruire notre mémoire ? Pour quelle honte ?
Dans la forêt récente, truffée de jardins d’enfant, entre le Pico Pico et la Baie des espèces, on entendait des mères et pères désespérés : C’est impossible qu’ils touchent à Maman les petits bateaux ou Savez-vous planter les choux ?
Malheureusement, oui. Ils l’ont fait. Ils n’ont pas de plafond.
Terrible succès viral pour Savez-vous planter les choux par derrière ?
Avons-nous construit un monde électrique pour ça ?
On s’arrachait les poèmes originaux dans les cafés spécialisés en lectures et panier paysan.
Les offusqués marchaient dans les rues, cheveux dressés sur la tête, bouches tordues et dissimulaient mal leur peine.
L’électricité a rendu la chose tellement proche et rapide. Tellement de chewing-gum rumeurs (hoax) et de boulettes en forme de nouvelles (fake news) envahissaient les informations jusqu’au moindre message que toute vérité nous semblait forcément une manipulation…
Les vérificateurs de faits (fact checkers) pullulaient et remplissaient des trains entiers, des avions, des aéroports.
Les amoureux ne se croyaient plus.
« Je t’aime » était suspect. Même par devant.
Le monde devenait un monde de services secrets par derrière.
Tout était démenti. Tout était équivoque. Tout devenait manœuvre et coup tordu.
Et qui se présentait par devant ? Et qui se cachait par derrière ?
On vérifiait les syllabes, on comptait les pieds, on enjambait tout ce que l’on pouvait enjamber.
Les poetry fact checker dépités marmonnaient.
On analysait les photos, on traquait les montages.
On ne croyait plus en rien.
Nuit et jour les téléphones sonnaient en alerte et rien n’y échappait, tout était dénoncé, remis en question… nous devenions des chiffres dans un sac secoué… les mises en garde, les avertissements n’avaient que peu d’influence… la suspicion, la méfiance, tout se répétait, le meilleur, le pire, on ne croyait plus en rien, on était submergé de phrases, de mots, d’allusions.
On se suspicionnait à fond les valises dans le grand baba mental, a dit une très jeune fille aux pupilles dilatées et au teint de noyée.
Quoi ? On suspicionnait à fond les valises dans le grand baba mental ?
Nous n’avions plus que nos petits mouchoirs de mouche pour éponger nos torrents, disait-elle aussi.
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En lien avec l’histoire sauvage, une pièce radiophonique à écouter en podcast, diffusée le samedi 1er septembre 2018 de 21h à 22h
« La réserve noire » de Jean-Pierre Ostende
Une réalisation de Jean-Matthieu Zahnd. Conseillère littéraire : Caroline Ouazana. Assistant à la réalisation : Félix Levacher
Avec :
Mohamed Rouabhi (Régis Legrand) Pierre-Jean Pagès (François, le père)
Agnès Sourdillon (Sylvie, la mère) Baptiste Dezerces (Sébastien, le fils)
Lyn Thibault (Tatiana, la fille) François Siener (André, le grand-père)
Bernadette Le Saché (Rosemarie, la grand-mère) Miglen Mirtchev (Thomas, le résident) Lara Bruhl (Suzie, la résidente)
Bruitages : Benoît Faivre et Patrick Martinache
Equipe technique : Eric Boisset, Mathieu Le Roux
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