Le twist ou la valse

Au Pico Pico, la salle Marshall McLuhan s’appelle souvent Marshall McLuhan put a spell on you (Marshall McLuhan a jeté un sort sur vous).
Jacques Marchal y emmène souvent les marcheurs de nuit rencontrer des membres du Marshall McLuhan fan club et les sujets sont variés. D’après lui, il n’y a pas d’un côté le monde tribal et de l’autre le monde alphabétisé, civilisé, spécialisé, mécanique, répétitif, imprimé. Ces mondes s’interpénètrent, au point, a-t-il ajouté, que l’on peut aimer twister et valser.
La valse est une danse mécanique, spécialisée et chaude tandis que le twist vous donne l’impression de vous frayer un chemin dans la foule sans bouger.
Ainsi John Travolta dans Pulp Fiction. Le twist ne le fait pas avancer mais bouger sur place. C’est une idéologie.
https://youtu.be/sTBhKboufF4?t=1m28s
A l’école supérieure de commerce, ce mouvement sur place, on l’appelle l’effet rocking-chair. Il désigne les employés qui s’agitent sans produire quoi que ce soit.
D’après Jacques Marchal, le twist est une forme froide, un monologue gestuel improvisé qui favorise la participation, une espèce d’autofiction gestuelle. Les auteurs de l’autofiction, c’est du twist. Quand vous lisez plusieurs livres d’autofiction d’un même auteur, vous vous rendez compte que ça bouge sans avancer. Le romancier, lui, valse. Il tourne en faisant des cercles. Cela ne le rend pas supérieur, c’est une forme du XIXème siècle. C’est une autre façon de danser. L’auteur d’autofiction twiste, s’enfonce sur place, tandis que le romancier valse.
Pourtant, à sa naissance en 1780, la valse a été perçue comme une danse de sauvage. A partir de là, Jacques Marchal a opéré un retour sur le XVIIIème siècle en France. Nous en avons profité pour commander une tournée de bières.
France, 1740. Louis XV ne sait pas danser.
Quand la valse arrive, vers 1780, les danseurs sont surpris : la danse dominante est la danse de groupe. A part les danses populaires (et encore), les danses qui ont précédé la valse sont des danses de groupe où chacun est à sa place. Dans l’antiquité, c’est la danse sacrée. On est loin de la guerre froide, du twist et du jerk comme arme idéologique qui rendent fou les soviétiques.
Avant la valse, selon Jacques Marchal, la danse de groupe domine. Le menuet est une danse de groupe. Les places des danseurs sont fixes. Le ballet de cour c’est de la chorégraphie. Ça, Louis XV, nous le comprenons, ça le fatigue, disait Jacques Marchal. D’autre part, Louis XV est libertin. A l’époque la plupart des mariages sont arrangés, il n’y a pas de choix.
Le choix du partenaire viendra avec le marché, dit Jacques Marchal. Bref.
Louis XV est fiancé à 11 ans avec Marie-Anne Victoire d’Espagne qui n’a que trois ans. Il est roi à 12 ans. Mais il plaque sa fiancée de trois ans pour épouser Marie Leszczynska, 22 ans et lui 15. D’où un libertinage presque vital (qui aujourd’hui a moins de sens). La valse naît à la fin du XVIIIème siècle, vers 1780, peut-être pour s’opposer aux danses pratiquées en ligne, très formelles, chacun a sa place, à l’image de l’ordre social. Soudain le valseur circule dans la pièce. Vous imaginez ? dit Jacques Marchal.
– Et la chenille ? a demandé Barbara Hoffman.
– La chenille c’est autre chose… Il y a peut-être quelque chose de syndical dans la chenille. La valse est plutôt un moyen de transport, on va partout sur la piste. Vous n’avez pas oublié le médium comme moyen de communication et moyen de transport… Eh bien, avec la valse on va partout l’air de rien. Une préfiguration du libre échange.
Là, Laura Yun a demandé à Jacques Marchal si la java était libérale ? Et Jacques Marchal a répondu : C’est une autre histoire… Mais sexuellement, c’est aussi autre chose, la valse, en plus… sexuellement, oui… la femme se retrouve face à l’homme, il n’est plus à côté d’elle… une espèce de protoféminisme valseur… mais… bref, vous le devinez, la révolution française va accélérer la fin des danses de cour et la valse se propagera… facilitée par l’invention de la chaussure en cuir, qui permettra de glisser sur le parquet… là, il y a une attaque en règle, non pas contre la chaussure mais contre la valse. Bizarrement la valse sera le symbole de l’immobilisme politique… Talleyrand : « Le congré valse mais n’avance pas ». On associera, la valse à l’uniforme.
Nous, on se demandait : Où est Marshall McLuhan là dedans ?
Et Jacques Marchal a répondu : Marshall Mc Luhan ? Mais il est dans le twist… il a dansé le twist… Si la valse fait scandale (danse de sauvage, l’homme et la femme l’un contre l’autre), le twist choque le valseur. Il est rare de voir un valseur twister sans amertume. Le twist est un moyen d’expression individuelle, d’introspection pré-hippie.
Nous, on a encore dit : Mais où est Marshall McLuhan là-dedans ?
– Eh bien Marshall McLuhan est à sa place. C’est son genre de réflexions, quand il compare les médiums, le chaud et le froid. Vous vous souvenez des deux axes de la pensée de Marshall McLuhan : les extensions de l’homme et les analogies-comparaisons entre les productions techniques… C’est exactement Marshall McLuhan… Valse et twist, mécanique, uniforme, jazz, hot… Vous savez ce qu’il dira du twist : c’est le genre de truc, le twist, on peut penser ce que l’on veut, mais c’est un coup contre les communistes.
Pour parler le Marshall McLuhan il ne s’agit pas de répéter ses mots mais d’essayer de penser le monde et ses productions en langage McLuhan, a dit Jacques Marchal.
Mais jusqu’où ira-t-il ce Marshall McLuhan ?

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