La bête revient toujours langue pendante, tenace, gigantesque, inventive et capable de prendre toutes les apparences.
Accrochée si profondément à ce qu’elle tient, là où elle s’est infiltrée, aucun nettoyeur n’en vient à bout, jamais, s’appropriant sans cesse de nouvelles formes, suradaptée, elle s’arrange de tout et travers les siècles.
C’est pourtant ce qu’il y a de plus ouvert, autorisé, donné, répandu, l’opinion, l’avis, la sensation, le ressenti comme on dit.
Cette bête est dispersée à un point inimaginable, répandue jusque dans votre façon de marcher, de vous asseoir, de parler, vous habiller, dans votre nourriture, votre maison, vos relations, votre regard, votre pensée.
Jusque dans toutes vos émotions.
Même dans l’air, la couleur, l’odeur, la musique, la cuisine, le climat, le paysage, le jeu, le cinéma, les sensations, elle est là, assise. Partout elle niche. Jusque dans les révoltes et les colères. Jusqu’au creux de votre intimité.
Ça va partout, ça s’infiltre, s’installe, ça se reproduit.
Ça rentre et se nourrit et se développe profond.
Ça s’accroche jusque dans les gênes, on le sait maintenant. Il y a un effet de l’expérience sur l’ADN.
Tout le monde mange et boit et respire cette chose partout. Tout le monde. Tout le monde croit. Tout le monde avale. Personne ne sait comment. Nous sommes un immense brouillard depuis des millions d’années, une eau qui prend toutes les formes, une boue universelle, un nuage d’êtres vivants dans des milliards de galaxies qui comprennent des milliards d’étoiles qui comprennent des milliards de planètes.
Ça ruisselle.
Avant même que nos pensées se « présentent », s’identifient, donnent leur code, toutes les formes, les saveurs, les couleurs, les goûts, les matières sont imprégnées de cette chose. Parce que nos syllabes en sont imprégnées. Nos mots. Nos fêtes. Nos expressions. Nos gestes. Nos sous-vêtements. Nos plaisanteries. Nos tristesses. Nos chaussures. Nos épices. Notre cuisine. Notre façon de rire ou de pleurer. Notre sport. Notre amour. On baigne dedans.
Nous trempons tous dedans.
Et pourquoi une imprégnation si forte ?
C’était encore un grand affrontement sur le ring mental du Pico Pico.
Engels écrit dans une lettre le 14 juillet 1893 : « L’idéologie est un processus que le soi-disant penseur accomplit sans doute consciemment, mais avec une conscience fausse. »
(photographie de Jean-Philippe Charbonnier, 1954)
Est-il ironique Andy Warhol quand il écrit que la grandeur de l’Amérique c’est que tout le monde boit le même coca cola, qu’il soit riche ou pauvre, parce que c’est le même coca ?
« Un coca est un coca, et aucune somme d’argent ne peut vous donner un meilleur coca que celui que le clochard du coin est en train de boire. Tous les cocas sont les mêmes et tous les cocas sont bons. Liz Taylor le sait, le président le sait, le clochard le sait, et vous le savez. » écrit Andy Warhol.
Roland Barthes disait qu’il fallait se compromettre un peu. Juste un peu.
L’idéologie est partout, le président et le clochard l’ont, la voisine l’a, le voisin l’a, leurs yeux, leurs mains, leur odeur, partout, les arbres l’ont, les océans, les grenouilles, les bassins d’eau douce, les hirondelles.
Il serait tentant de penser qu’elle s’incruste et respire et vit aussi, une espèce d’entité née d’un récit fantastique où l’on pourrait encore s’émerveiller.
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En lien avec l’histoire sauvage, une pièce radiophonique à écouter en podcast, diffusée le samedi 1er septembre 2018 de 21h à 22h
« La réserve noire » de Jean-Pierre Ostende
Une réalisation de Jean-Matthieu Zahnd. Conseillère littéraire : Caroline Ouazana. Assistant à la réalisation : Félix Levacher
Avec :
Mohamed Rouabhi (Régis Legrand) Pierre-Jean Pagès (François, le père)
Agnès Sourdillon (Sylvie, la mère) Baptiste Dezerces (Sébastien, le fils)
Lyn Thibault (Tatiana, la fille) François Siener (André, le grand-père)
Bernadette Le Saché (Rosemarie, la grand-mère) Miglen Mirtchev (Thomas, le résident) Lara Bruhl (Suzie, la résidente)
Bruitages : Benoît Faivre et Patrick Martinache
Equipe technique : Eric Boisset, Mathieu Le Roux