Evolution de l’espèce (plage)

D’après les observateurs et experts de côte balnéaire, du mois de juin au mois de septembre, sur la plage Evolution de l’Espèce se retrouvent chaque année, pour un grand rassemblement, les fous et folles de leur corps, venus du monde entier pour participer à des concours (ainsi la fille prototype et le garçon prototype annuel), à des examens de qualification mais aussi à des jeux (souvent risqués).
Comme le dit Madame Solange Pimpant, la Maire-plutôt-mourir-que-quitter-la-mairie : le jeu créatif est une garantie de l’équilibre.
Entre les trampolines et les aires de beach-volley nous trouvons aussi des prêcheurs spécialisés dans le prêche de plage, bronzés, souriants, et il arrive même à certains d’entre eux de prêcher pieds nus et en maillot pour approcher le pécheur. Il n’y a pas de personnage central sur les plages, c’est un tableau de Bruegel ici. Même l’homme soi-disant Jésus-Christ junior, Jean-Claude Cristianni, passe inaperçu, alors qu’il vient accompagné de sa bande de prosélytes et prospecteurs, à la recherche d’adhérents et de conversions.
Des groupes de musique se répartissent le long des huit kilomètres de la plage artificielle. Il y a même des musiciennes pour jouer de la musique de chambre en plein air et maillot, le String Quartet par exemple, toujours très apprécié, écouté, reluqué, photographié et filmé.
Difficile de vous dire ce que l’on ressent quand on commence à rôder dans ce coin.
Les camions-snacks s’alignent entre la route et la plage, le long des grands palmiers d’opérette municipale (une grande mode des scénaristes urbains), entre les deux stations service GAS (reconstitution parfaite du tableau d’Edward Hopper, Gas). Il n’y a pas de héros.
Au loin, on aperçoit la falaise aux parapluies retournés et le long grillage qui empêchent les gestes définitifs. C’est un lieu Trois Etoiles pour les opérateurs de tourisme morbide.
Sur la plage Evolution de l’Espèce, chaque nuit, des fêtes plutôt bruyantes sont organisées et entre elles c’est la cacophonie. Toutes sortes d’alcools et de drogues circulent. Il y a des groupes de musiques transes comme Les Momies Verdâtres, les démons de la nuit comme Mange Ma Veine, des recruteurs de secte à l’affût (surtout les adeptes de Lumière intérieure pour tous), des chasseurs de gourous, des parents qui recherchent leurs enfants, des enfants qui recherchent leurs parents, des détectives aussi, avec leurs mini appareils photos fixés à l’oreille ou à la boutonnière, comme Frank Le Souci (Le Souci vous guette, c’est sa publicité) qui a longtemps vécu avec la top modèle Stéphanie Marteau, surnommée Le clou, à cause de sa minceur. Il n’y a pas de héros.
Il y a des médiateurs de plage pour régler les conflits (On se souvient du marathon pour la médiation).
Il y a des annonces pour répéter : Hydratez-vous ! Protégez vos enfants du soleil !
Les militants en profitent pour militer, les maîtres-nageurs pour maître-nager. Ce sont des foules.
Certains sont debout sur des caisses et font de longs discours. Chaque année est délivrée la médaille d’or de la poésie pour une lecture improbable. Ça fait penser au parc Bellagio.
Une fois il y avait deux fans d’Elias Canetti sur une estrade, deux habitués de la salle dédiée à Elias Canetti au Pico Pico. Un vêtu de bleu et un vêtu de vert.
Le bleu a dit : C’est à peine croyable ce que les gens peuvent être innocents quand ils ne sont pas épiés.
Tout le monde a attendu une réponse.
Tout le monde a réfléchi.
Puis le vert a donné la référence comme s’il connaissait l’œuvre par cœur : Le témoin auriculaire, page 69.
Un avion publicitaire est passé dans le ciel traînant une publicité pour la Brasserie de la Bonne Humeur Française et l’élection prochaine de Miss Choucroute.
Les deux fans de Canetti ont marqué un temps pour que le public enregistre et photographie. Il y a eu quelques selfies.
Le bleu a dit : Qui mange à l’écart et en secret est obligé de tuer seul et pour lui seul. Qui tue avec les autres est obligé aussi de partager sa proie avec eux.
Le vert a dit : Masse et puissance, page 202.
Des filles du bord de mer ont applaudi, à lire leur tatouage certaines devaient adorer Elias Canetti.
Elles m’ont donné envie d’une dérive en bus de nuit, monter dans n’importe quel bus et descendre à n’importe quel arrêt, pour en prendre un autre et ainsi de suite, pendant des heures, jusqu’à ce que l’on soit calmé.
Encore cette envie de partir ailleurs et j’ai pensé au marcheur pathologique que l’on trouve dans la bande dessinée Le captivé (éd. Futuropolis) de Christophe Dabitch et Christian Durieux : quelle maladie pousse Albert Dadas à parcourir à pied l’Europe de l’Est ou l’Afrique du Nord sur des coups de tête irrépressibles, abandonnant famille et travail pour marcher sans s’arrêter, comme un fou ? En Mai 1886, Albert Dadas est examiné par Philippe Tissié, jeune interne en psychiatrie à l’hôpital de Bordeaux… (mais ceci est une autre histoire racontée dans Le captivé).

Je suis végétarienne à mort maintenant.

Je suis végétarienne à mort maintenant.

Comme toujours ensuite viennent de bonnes résolutions : réduire les voyages en space cake (gâteau au cannabis), éteindre tous les écrans pendant une semaine, oublier la tétine (téléphone portable), respirer doucement en regardant les palmiers flotter au-dessus des ombres mélancoliques

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