Le festival d’émissions radiophoniques du XXème siècle a commencé dans l’auditorium en forme d’oreille-cœur. Le nouveau mixage de l’inoubliable « Ici l’ombre, les foncés parlent aux foncés » (grandiose pour la cinquantaine d’auditeurs qui l’écoutaient) a plu à René Frantic. D’abord parce que cela lui rappelait sa jeunesse sans téléphone portable.
« Tu te souviens de l’émission Ici l’ombre, les foncés parlent aux foncés ? »
C’était aussi l’époque de son adhésion au club des débranchés (on était insouciants, dit-il), période qu’il a qualifié un jour au Karaoké Bleu, de « beau rêve ».
Au sujet de « beau rêve », est-il vrai qu’après avoir séquestré pendant vingt-quatre ans sa fille (de 1984 à 2008), et lui avoir fait sept enfants, Josef Fritzl a déclaré à ceux qui l’ont arrêté : « J’ai réalisé un beau rêve. » ?
Les scénaristes de la ville, eux, ont vraiment annoncé qu’ils avaient réalisé un beau rêve le jour où la ville a inauguré quatre chemins de grandes randonnées à travers des environnements très différents, quatre chemins de grandes randonnées qui traversent dorénavant Notre-Ville, tous les quatre parfaitement balisés, décrits dans les itinéraires du plaisir et de la culture, commentés dans les topo-guides officiels, homologués par le comité national des sentiers de grande randonnée. Tous les monuments sont équipés de flash code (indications historiques, architecturales, économiques, symboliques), tous les arbres aussi ont leur flash code (programme Le monde est notre encyclopédie illustrée et en relief, nombreuses informations sur la faune et la flore, extraits de poèmes bucoliques, récitals forestiers, écoutes sonores, parcours audio etc.). Vous pouvez y inscrire votre poème.
Le flash code est apprécié par Olivia Comment. Pour elle, le flash code est un projet pour tous les êtres humains, un vrai programme encyclopédique (peut-être est-elle un peu ironique ?).
– Et quand je rencontre quelqu’un, j’ai envie très vite, s’il me plaît par exemple, de savoir l’essentiel sans me perdre dans les détails et les digressions d’une longue conversation hasardeuse. Pourquoi avoir encore à parler pendant des heures alors que l’on peut apprendre très vite les mots-clés d’un être, ce qui le motive, lui plaît, lui déplaît ? Si j’avais rencontré Roland Barthes j’aurais aimé tout de suite savoir qu’il aimait la salade, la cannelle, le fromage, les piments, la pâte d’amandes, l’odeur du foin coupé, les roses, les pivoines, la lavande, le champagne, des positions légères en politique, Glenn Gould, la bière excessivement glacée, les oreillers plats, le pain grillé, les cigares de Havane, Haendel, les promenades mesurées, les poires, les pêches blanches ou de vigne, les cerises, les couleurs, les montres, les stylos, les plumes à écrire, les entremets, le sel cru, les romans réalistes, le piano, le café, Pollock, Twombly, toute la musique romantique, Sartre, Brecht, Verne, Fourier, Eisenstein, les trains, le médoc, le bouzy , avoir la monnaie, Bouvard et Pécuchet, marcher en sandales le soir sur les petites routes du Sud Ouest, le coude de l’Adour vu de la maison du docteur L., les Marx Brothers, le serrano à sept heures du matin en sortant de Salamanque… J’aurais voulu aussi savoir tout de suite qu’il n’aimait pas les loulous blancs, les femmes en pantalon, les géraniums, les fraises, le clavecin, Miro, les tautologies, les dessins animés, Arthur Rubinstein, les villas, les après midi, Satie, Bartok, Vivaldi, téléphoner, les chœurs d’enfants, les concertos de Chopin, les bransles de Bourgogne, les danceries de la Renaissance, l’orgue, M. A. Charpentier, ses trompettes et ses timbales, le politico sexuel, les scènes, les initiatives, la fidélité, la spontanéité, les soirées avec des gens que je ne connais pas…
René Frantic est surpris (eh bien moi non).
– Tu aurais aimé savoir qu’il aimait marcher en sandales le soir sur les petites routes du Sud Ouest ?
– Quand on aime on veut tout savoir.
René Frantic n’est pas vraiment d’accord mais il ne sait pas trop comment le formuler. C’est son côté homme obsolète. (Un jour je l’interrogerai là-dessus, l’homme obsolète). C’est son côté un être n’est jamais une liste. De toutes façons il est trop indécis pour draguer. Déjà le mot draguer ne l’emballe pas trop parce que cela lui fait penser à racler le fond. D’autre part, c’est un indécis, un indécis profond et cela ne s’accorde pas avec la sexualité ; la sexualité exige de prendre position.
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