Au bureau des nouvelles compétences et des métiers émergents de la chambre du commerce et de l’industrie, la responsable hésite à classer mon activité : ethnologue amateur, historien sauvage, interprète dilettante, recenseur naturel, fouineur désintéressé, enquêteur gracieux, dénombreur solitaire, détective hors piste, glaneur impulsif, archiviste spontané, chroniqueur bénévole, elle se tâte.
Elle, Barbara Hoffman, ne sait pas, ou par ruse, tactique professionnelle, fait semblant d’ignorer que, depuis le Karaoké Bleu, je connais son frère (demi-frère en vérité), bouquiniste contrarié (René Frantic) dont la vie a été sauvée, enrichie, agrandie, par les livres.
Elle me questionne sur ma pratique incertaine, ambiguë, mes allers et venues permanents dans la ville, ma façon de rôder-flâner.
Elle m’interroge sur mon attirance, et à la fois ma peur perceptible, d’exercer cette pratique de rôdeur-flâneur, hors de toute sécurité.
– Pourquoi cela vous fait-il peur ?
(Croit-elle que je vais répondre que j’ai peur ?)
Elle enregistre ma déclaration sur le dictaphone : « Chaque rue de la ville est composée de niches, de maisons, d’appartements dans lesquels vivent des êtres humains en état de marche et de récits, nourris d’histoires et d’anecdotes, de microsagas en trois lignes. Cela m’obsède. La matière est partout. Partout.
Et tout ce que je sais faire (la mia unica riposta) c’est sortir et encore sortir.
Ensuite, pour tout avouer, quelques heures plus tard, quand je suis bien sorti, il n’y a plus qu’à rentrer à la maison (Ah ! Rentrer au palais !) pour archiver, ranger, tout ce que j’ai glané, les photographies, les flyers, les rebuts, les morceaux de rien du tout, les journaux, recopier mes notes, classer mes enregistrements de portraits, les nouvelles figures, les silhouettes, les promesses. »
Je lui demande si elle accepte que je revienne dans son bureau pour lui poser quelques questions et l’intégrer aux portraits et vignettes que je collectionne.
Elle est dubitative.
Elle est hmmm hmmm ouais ouais pschtt mouais pfftt.
A la fin, au moment de sortir, je lui dis que je connais son frère, le bouquiniste déçu attendrissant (René Frantic). Elle me regarde et sa réaction se limite à sa grande bouche en forme de : « Oh ! »
Elle doit prendre du Stop Emotion, à mon avis.
Peut-être au marché noir pharmaceutique.
Sous la voie express circulaire.
Pour être plus terre à terre, créer un peu de complicité, d’empathie, une petite connivence à la façon de certains clients qui, dans un commerce, ont besoin d’être reconnus (« Et comment va la famille ? »), je finis par dire, juste avant de m’en aller :
– Votre frère m’a dit que vous viviez avec Dark Vador. Il va bien ?