L’ogre n’est pas banc de brouillard

Le soir où j’ai appris qu’un professeur d’histoire et géographie venait d’être décapité au collège du bois d’Aulne, j’ai cru comprendre collège du bois des Aulnes et vite collège du roi des Aulnes.
J’ai d’abord pensé au professeur.
Ensuite j’ai pensé à l’ogre de Michel Tournier dans Le Roi des Aulnes et au poème de Goethe, Le Roi des Aulnes.
J’ai pensé que c’était un élève, un enfant, qui avait dû commettre le crime.

Ensuite, j’ai retrouvé Le roi des Aulnes de Johann Wolfgang von Goethe dans son adaptation française de Charles Nodier.
Quel est ce chevalier qui file si tard dans la nuit et le vent ?
C’est le père avec son enfant ;
Il serre le petit garçon dans son bras,
Il le serre bien, il lui tient chaud.
(Wer reitet so spät durch Nacht und Wind? Es ist der Vater mit seinem Kind. Er hat den Knaben wohl in dem Arm, Er fasst ihn sicher, er hält ihn warm.)
« Mon fils, pourquoi caches-tu avec tant d’effroi ton visage ?
– Père, ne vois-tu pas le Roi des Aulnes ?
Le Roi des Aulnes avec sa traîne et sa couronne ?
– Mon fils, c’est un banc de brouillard.
(Mein Sohn, was birgst du so bang dein Gesicht? – Siehst Vater, du den Erlkönig nicht! Den Erlenkönig mit Kron’ und Schweif? – Mein Sohn, es ist ein Nebelstreif.)
– Cher enfant, viens, pars avec moi !
Je jouerai à de très beaux jeux avec toi,
Il y a de nombreuses fleurs de toutes les couleurs sur le rivage,
Et ma mère possède de nombreux habits d’or.
(- Du liebes Kind, komm geh’ mit mir! Gar schöne Spiele, spiel ich mit dir,
Manch bunte Blumen sind an dem Strand, Meine Mutter hat manch gülden Gewand
.)
– Mon père, mon père, et n’entends-tu pas,
Ce que le Roi des Aulnes me promet à voix basse ?
– Sois calme, reste calme, mon enfant !
C’est le vent qui murmure dans les feuilles mortes.
(Mein Vater, mein Vater, und hörest du nicht, Was Erlenkönig mir leise verspricht? – Sei ruhig, bleibe ruhig, mein Kind, In dürren Blättern säuselt der Wind.)
– Veux-tu, gentil garçon, venir avec moi ?
Mes filles s’occuperont bien de toi
Mes filles mèneront la ronde toute la nuit,
Elles te berceront de leurs chants et de leurs danses.
(Willst feiner Knabe du mit mir geh’n? Meine Töchter sollen dich warten schön, Meine Töchter führen den nächtlichen Reihn, Und wiegen und tanzen und singen dich ein)
– Mon père, mon père, et ne vois-tu pas là-bas
Les filles du Roi des Aulnes dans ce lieu sombre ?
– Mon fils, mon fils, je vois bien :
Ce sont les vieux saules qui paraissent si gris.
(Mein Vater, mein Vater, und siehst du nicht dort / Erlkönigs Töchter am düsteren Ort? – Mein Sohn, mein Sohn, ich seh’ es genau, / Es scheinen die alten Weiden so grau.)
– Je t’aime, ton joli visage me charme,
Et si tu ne veux pas, j’utiliserai la force.
– Mon père, mon père, maintenant il m’empoigne !
Le Roi des Aulnes m’a fait mal ! »
(Ich liebe dich, mich reizt deine schöne Gestalt, / Und bist du nicht willig, so brauch ich Gewalt!“ Mein Vater, mein Vater, jetzt fasst er mich an, Erlkönig hat mir ein Leids getan)
Le père frissonne d’horreur, il galope à vive allure,
Il tient dans ses bras l’enfant gémissant,
Il arrive à grand-peine à son port ;
Dans ses bras l’enfant était mort
(Dem Vater grauset’s, er reitet geschwind, Er hält in Armen das ächzende Kind, Erreicht den Hof mit Mühe und Not, In seinen Armen das Kind war tot.)

Plus tard encore je suis revenu sur : Veux-tu, gentil garçon, venir avec moi ? Mes filles s’occuperont bien de toi
Ce n’est pourtant pas ça qui m’a le plus tenu mais la réponse du père à l’enfant inquiet.
Le roi des Aulnes propose à l’enfant de se distraire avec ses filles. Mais pour le père de l’enfant il ne s’agit que d’hallucinations, rien que des hallucinations (le vent dans les feuilles mortes, les saules qui font silhouettes).

Ce que je n’arrive pas à saisir : Comment se passe cette chose ? Il ne s’agit pas seulement d’un croquemitaine. L’enfant avertit son père qu’il y a l’ogre et celui-ci ne l’écoute pas, n’y croit pas.
Cette histoire, cette idée, tourne en boucle pendant plusieurs jours : On le dit au père mais il ne le croit pas.
Il faut le croire pour le voir ?
Il y a de nombreuses interprétations de ce poème.
Dans l’une ces interprétations, la mort de l’enfant est une mort mentale. C’est celle que je trouve la plus terrifiante, celle qui me laisse le plus démuni, pris dans un mystère dont je n’ai la sortie.

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