L’homme assis aime bien Facebook et prétend que c’est une lunette ou un hublot, ça dépend.
Tu plaisantes ? Tu as vu dans quel état est le tissu social ? Tu ne peux pas ne pas l’avoir remarqué, tu ne vis pas dans un désert au fond du trou du milieu de nulle part avec des taches au plafond et des étincelles et des grésillements de faux contacts, il est complètement déchiré le tissu social, il est abîmé. Il s’effiloche en lambeaux de confetti… Tu préfères regarder ailleurs ? Faire comme tout le monde ? Oublier le climat ? Oublier la dette publique ? Une fois que tu as oublié ça…
Oui, le tissu social est en lambeaux.
(David Hammons)
C’est rare que le fantôme social s’exprime aussi directement avec un air de traqueur d’aveux, un stalker couvert de poussières. On dirait un agent dormant sorti d’une vieille bouteille, qui n’a pas bougé, claquemuré depuis le XIXème siècle, il vient d’être ranimé et se charge de nous réveiller en pleine nuit au XXIème siècle et dehors les hélicoptères, les sirènes, l’annonce d’un record de température au delà du cercle arctique, 38°C en Sibérie, la multiplication de foyers pandémiques dans les abattoirs.
Bande de pangolins !
Il pourrait remonter dans le temps jusqu’aux années soixante… les premières télévisions en couleur et machines à laver, le lino et le formica dans les cuisines… pas encore de ceinture de sécurité obligatoire dans les voitures… et petit à petit les voitures si différentes, ces modèles de plus en plus attirants, dans leur extrême diversité, leur différence… crossover, quatre quatre … ces choix à n’en plus finir… Notre sensation de liberté…
Sur un sol jonché de jeux à gratter, de boîtes vides d’antidépresseurs et de faits divers, je me souviens, j’allais chercher mon père au PMU… il jouait aux courses…
Est-ce que nous avons créé des outils qui déchirent le tissu social comme l’a déclaré le vice-président chargé de la croissance de l’audience de Facebook Chamath Palihapitiya en 2017 à la Stanford Graduate School of Business : « Nous avons créé des outils qui déchirent le tissu social (We have created tools that are riping apart the social fabric.) » ?
Deux autres phrases ont retenu l’attention des traqueurs d’aveux quand il a prononcé son discours.
D’abord : Si vous nourrissez la bête (If you feed the beast), la bête vous détruira (the beast will destroy you).
Et ensuite : L’entreprise n’est en fait qu’une bande de lâches sans âme (Venture is basically just a bunch of soulless cowards).
Nous nous sommes sentis visés. Nous sommes tous une bande lâches sans âme ?
Nous écoutons les avertissements que l’on nous donne et nous regardons ailleurs ? Notre regard vitreux dans le lointain, les centrales nucléaires…
Voilà un patron, Chamath Palihapitiya, qui s’adresse à de futurs cadres ou patrons, dans une école de commerce, pour leur conseiller de choisir quelque chose qui ait une valeur véritable.
Depuis, dans les nuits de Notre-Ville, une phrase revient en boucle et grésille comme sortie d’un enregistrement vieillot : Si vous nourrissez la bête, la bête vous détruira.
La question est là, toute vrillée : Nous nourrissons la bête, nous avons besoin de nourrir la bête.
Pourtant, n’empêche, c’est notre tissu social déchiré qui a créé Facebook et pas Facebook qui déchire notre tissu social. C’est par ce trou, cette déchirure que l’on peut voir notre monde se dégrader. On nous y trouve, lamentables et flamboyants, sauveurs et dénonciateurs, amoureux et cruels.
Il y en a toujours qui ne supportent plus les réseaux sociaux et s’absentent régulièrement en postant des déclarations du style : « Je me retire, qu’on se le dise. » (Jean-Luc Sarré). J’imagine alors le dandy oranais, au comptoir d’un bar, convenant d’une chose avec le motard breton : « On s’en souviendra de cette planète » (Georges Perros).
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