Peut-être inspiré par le Thank you for nothing de l’Américain John Giorno, un performer local mais ambitieux de Notre-Ville (infestée de performers) a lu au Pico Pico, dans la salle Merci, Merci, un texte intitulé « Merci les pauvres » et plusieurs personnes (friandes de partage sur la toile électronique) ont pu en enregistrer quelques extraits avant que les applaudissements ne donnent l’impression d’entendre une friteuse en marche.
« Merci les pauvres de mettre la main à la pâte et dans la farine pour préparer le pain et les gâteaux la nuit, de nettoyer l’aéroport avec du savon liquide et des cireuses, de laver les trottoirs, les tramways, les vitres des immeubles bien jusqu’en haut en équilibre dans une nacelle suspendue, de laver les vieux qui ne peuvent plus le faire, de savonner les draps des chambres d’hôtel où se sont aimés les clients, de placer un petit bonbon sur la table de chevet, d’aspirer la poussière des bureaux dans les machines et les poumons, de ramasser les poubelles et les papiers dans les rues, de vous lever à cinq heures du matin pour conduire les bus, les trains, les avions, de réparer les véhicules, les ordinateurs, les téléphones, de couper les tissus, de coudre les vêtements, de les vendre, de vous occuper des fleurs dans les parcs, de tailler les arbres, d’écrire des livres, des articles, des thèses, d’organiser des expositions didactiques ou divertissantes, de garder les enfants, les fous, les vieillards, les malades, d’entretenir les pelouses, les parterres de fleurs, les ronds-points, les jardins, de ramasser les papiers, de les ouvrir aux publics, d’arroser les plantes, d’arrêter les voyous, de chanter à l’opéra, de cultiver les poireaux et les carottes, de couper les cheveux, de tuer les animaux jour et nuit, de les découper dans une pièce froide, de les faire cuire, de pêcher au filet la nuit même l’hiver, de peindre des tableaux, de la céramique, des assiettes, des pots, de sculpter du bois et de la pierre, d’amuser les enfants, de danser moderne et classique, de sauver le patrimoine, d’accueillir le public avec le sourire le dimanche malgré vos cheveux blancs, de ramasser les surplus de supermarchés en fredonnant, de fabriquer des confetti et des langues de belle-mère, de servir dans les bars et restaurants, de faire les grosses têtes en carton pour le carnaval, de vous dépêcher tout le temps, de conduire les cars scolaires et les taxis, de monter sur les toits pour changer les tuiles, de réparer les lignes électriques gelées l’hiver, merci les pauvres pour l’entretien des éclairages, le transport du gaz et des containers, le raffinage de l’essence, la construction des routes, des ponts, des maisons, des immeubles, la peinture des façades et des intérieurs, la plomberie, l’électricité, merci de fabriquer des chaussures et des manteaux, des jouets pour les enfants, de leur apprendre à compter et à lire, de vous distraire mutuellement dans les campings, de fabriquer des boules de pétanque, de faire les clowns dans les spectacles, de transporter les instruments pour les concerts, de mourir vite quand vous ne travaillez plus… »
L’Étoile du matin a titré : Encore un artiste qui vit au Cafard Hôtel.
Le Cafard Hôtel n’a pas bonne réputation. Les opérateurs touristiques y emmènent toutefois une clientèle friande d’histoire littéraire et artistique.
L’animateur de l’émission Notre mot à dire a déclaré : Pourquoi tant de cynisme ?
Mais personne ne l’a contredit. Même pas les croyants qui chantaient sur la place « Oh God where are you now ? » de Sufjan Stevens et finissaient par demander au ciel : Mais où es-tu maintenant ? Où es-tu ? Hein ?