Depuis des années vous me faites remarquer combien nous sommes submergés de codes et d’assurances, de mots de passe et de mots de sauvegarde, d’adresses électroniques de récupération au cas où, on ne sait jamais, sans compter toutes les mesures de confidentialité, de protection, de contrôle, de barrières, de coupe-feux, d’enregistrements, de surveillance… La menace est générale, l’ennemi intérieur et extérieur.
Vous me répétez que ces mots de passe, ces pseudos, ces codes secrets ne sont pas sans effet sur nos comportements jusqu’à notre alimentation. Vous pensez que c’est, en douce, un profond changement de l’humanité, une perte de confiance totale, une méfiance définitive, une obsession de la protection et vous ajoutez qu’un principe de sécurité est infini, aussi infini que le principe de précaution… Vous pensez que tous ces accès personnels, protégés, sécurisés, ne seront pas sans conséquence à long terme… que notre conscience de plus en plus aigüe de la menace généralisée et renforcée chaque jour, par des interdictions autant que par des alertes et des drames, va nous rendre de plus en plus paranoïaques,, désenchantés, que la suspicion pour tout ce qui nous entoure, y compris nous-mêmes, va se répandre partout… insidieusement, profondément. Vous assurez que notre confiance est attaquée chaque jour, que l’on n’entrera plus jamais quelque part directement, qu’il nous faudra de plus en plus nous justifier, nous prouver, nous faire fouiller, donner des preuves de ce que nous sommes, au minimum donner son empreinte ou montrer la pupille de son œil… Nous serons le VIP de nous même pour chaque geste, nous serons des officiels authentifiés de nous-mêmes… Vous pensez que nous prendrons l’habitude d’être autorisés, habilités, admis… que cela s’installera profondément. Nous prendrons l’habitude d’avoir des accès privés, des autorisations personnelles, d’avoir les codes qu’il faut, d’écraser les précédents codes, ce sera la routine d’avoir des messageries de sécurité de deuxième sécurité de troisième sécurité, cela deviendra un automatisme d’être extrêmement prudent dans le choix de nos mots de passe et des moyens de vérifier qu’il s’agit bien de nous et non pas d’un imposteur, un faussaire, un escroc… Bien que le mot de passe ne date pas d’hier, le chiffrage non plus, la généralisation de tous ces systèmes de protections est si contemporaine, si électrique, qu’elle s’observe aussi bien que la multiplication des déchiffreurs, des hackers, des passe-murailles, des traverses pare-feux… répète toujours Jacques Marchal du Marshall McLuhan fan club…
Vous pensez aussi qu’il y a un lien entre la multiplication des mots de passe et le besoin de reconnaissance sans fin, un hyper narcissisme, entre les mots écrits sur les murs, l’infantilisme et la prolifération des fêtes et festivals (fêtes et festivals sont devenus synonymes) et au bout du compte, d’après vous, s’installera une géante dépression générale sans cesse repoussée à coups de leurres et de distractions. Vous pensez que nous modifierons notre cerveau à force d’avoir à garder secret des mots de passe, d’avoir à les sauvegarder, à les changer régulièrement et avec la plus grande discrétion, à multiplier les clés, les combinaisons de chiffres et de lettres, dans un monde d’ouvertures et de fermetures, d’autorisations ou d’interdictions, d’accès permis ou déniés. Et c’est ainsi que, selon vous, nous serons chaque jour un peu plus installés dans notre couloir personnel, avec nos seules empreintes et le fond de notre pupille, seuls dans notre être unique qui nous donnera accès (ou nous interdira) et nous protègera (ou nous enfermera)… et c’est ainsi que l’humanité attaquera la moitié du vingt et unième siècle en sachant tout ça, à la fois de plus en plus sensible et de plus en plus indifférente…
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