Le clown a trouvé l’oreille attentive de l’homme qui fait le Dark Vador (un ancien du Big Bang schtroumpf) pour distraire les enfants durant leurs anniversaires. Il dit à Dark Vador :
« Mon nez rouge du temps des photographies, tu le vois ? Il est gros, hein ? C’est un emblème ce nez rouge, c’est un emblème de lutte. Disparue. Lutte disparue. Et mon front blanc pacifiste aussi. Mes oreilles du temps des selfies aussi. Mon nez rouge était si imposant. Mon front blanc si large. Mes oreilles grandes en plastique étaient impressionnantes. Ma cible : le jeune public. Mon sourire. Mes grimaces. Tout pour le jeune public. Leur rire, c’était mon succès, c’était ma gloire, ma raison d’être, a répété le clown. Toi aussi ils te maltraitent, Vador ? Leurs œufs, leurs cris, nos larmes, tu les crains ? C’est notre métier. C’est aussi le tien, non ? Ma bouche pleine d’œufs comme la tienne. Mes mains, mes bras, pour protéger mes yeux. Leurs œufs encore. Mes protestations. Surtout au début. Mes protestations. Leur rire. Ma pensée je-tiendrai. Ma façon de serrer les dents. Ma volonté de ne pas perdre. Mon souci d’accomplir ma tâche du mieux possible, oui, du mieux possible. Mes trucs de cabaret, mes astuces de cirque, ma panoplie, ma petite panoplie, ma pauvre petite panoplie, ma valise, mon maquillage, mes petites affaires, mes pieds, mes pauvres pieds qu’ils écrasent, mes immenses chaussures, mes jolies mains d’avant, ma ténacité. Et quand je rentre à la maison, que reste-t-il ? Le fauteuil et la couverture sur les jambes ? Les photographies ? Mon dieu, les photographies… Je préfère même pas…
Est-ce que ce n’est pas un peu ma croix ? Est-ce que ce n’est pas un peu ma faute ?
Ma misère. Mon esclavage. Mon anéantissement. Mon plaisir d’innocent. Ma faiblesse. Mon masochisme.
Leurs gifles. Leurs coups de poing, leurs coups de pieds, leurs crachats, leurs insultes.
Je suis leur clown, je suis leur chose, leur animal humain domestique. Comment peux-tu avoir l’audace ou l’idiotie de penser que nous en sommes tous là ? C’est surtout le théâtre qui se dégrade. C’est évident. Le théâtre va de plus en plus mal depuis sa création. Déjà au XIXème siècle. Lis un peu ça :
C’était la belle époque – l’époque où les gens se précipitaient gaiement au théâtre, en savouraient chaque minute, applaudissaient avec enthousiasme, en réclamaient encore et ressortaient le visage rayonnant, impatiens d’annoncer l’heureuse nouvelle : « Le spectacle était génial ! » Il y en avait même qui pouvaient retourner voir la même pièce plusieurs fois de suite. Pas de doute c’était vraiment la belle époque.
C’est atroce comme les choses ont pu changer. Aujourd’hui, aller au théâtre est devenu un acte héroïque, on espère toujours, avec une crédulité qui fait pitié, que ce ne sera peut-être pas si mauvais, cette fois-ci – et en même temps on est terrassé d’inquiétude, on a cette peur amère, fruit de notre cruelle expérience, de s’apercevoir que ce sera sans doute encore pire. Janvier 1919. Dorothy Parker.
Alors, qu’est-ce t’en dis ? Tu vois. Ça ne date pas d’hier. Dans un sens, c’est réconfortant. »
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