Le samedi soir Barbara Hoffman place au fond de sa tête, dans une boîte noire qu’elle a créée pour oublier, la chambre du commerce et de l’industrie. Ensuite, elle sort avec Marc Victor (qui essaye lui aussi de ne plus penser à sa fonction de Dark Vador, grâce au programme Laisse ta vie professionnelle au bureau, programme destiné aux salariés stressés (sous-programme de l’opération La maladie coûte cher)).
Barbara Hoffman et Marc Victor aiment aller au restaurant sur le navire échoué.
Ils adorent l’ambiance de cargo russe, marins abandonnés, vodka, tricots à rayures, chansons nostalgiques, lampions colorés, accordéonistes dépressifs, écrivains hongrois. Parfois il y a de vieilles chansons napolitaines.
Barbara Hoffman ne regrette plus d’avoir cédé à son désir pour Marc Victor. Lors de leur première rencontre, malgré son stage de distance avec la clientèle, elle était bouleversée.
– Tant pis pour le périmètre de sécurité professionnelle avec les usagers du Bureau des nouvelles compétences et métiers émergents. Tant pis. Je fonce. Let the body talk (Laisse parler le corps).
En même temps, elle appréhendait chaque nouvel entretien avec Marc Victor (rendez-vous = anxiété) dont elle se rapprochait à chaque fois un peu plus.
Maintenant, c’est réglé.
Son éloignement de ses enfants lui donne à penser qu’elle est peut-être devenue une mère blafarde comme un éducateur spécialisé le lui a dit, il y a quelques temps, un jour triste et pluvieux dans un bureau couvert d’affiches d’orphelins souriants et d’enfants maltraités heureux de partir sur les collines vertes pour des colonies de vacances. Peut-être que l’éducateur qui s’occupe de son fils Bertrand, resté dans l’Est avec son père et ses deux sœurs, a raison. Peut-être qu’elle n’est rien d’autre qu’une abandonneuse.
Marc Victor est dans la même situation mais l’éducateur ne lui a rien dit de spécial.
Parle-t-on à son sujet de père blafard ? Non.
Et pourquoi ?
Elle regarde plusieurs fois le clip de Gotye, Somebody I used to know (Quelqu’un que je connaissais),celui que son fils Bertrand aime beaucoup, et se demande : Mais pourquoi est-ce que ça marche ainsi ?