Au Pico Pico, longue et lente et finalement piquante polémique sur la résignation. Têtes basses en vrac mais pas toutes.
Les partisans du Carpe Diem (c’est-à-dire : Prends ce qui arrive, ne te soucie pas du lendemain) lancent de grands airs d’opéra bouche ouverte sur l’air de : Profitons du moment.
Piqués de sagesse, ils refusent d’être brocardés pour leur égotisme et nient toute navrante fixette sur leur nombril comme on leur reproche.
Les partisans du Carpe Diem en ont marre d’être moqués, traités de baba cool, gourde new age, bande d’empotés, retraités ça-me-suffit, apathique clique, patchouli cercle, confit sentimental, molasse team, bécasse gang, gnangnan club, cruches clan, santon confrérie, cucu parti…
On se moque des partisans du Carpe Diem en chantant suave : Je baisse la lumière et j’te mets un peu de musique ?
Le poème d’Horace d’où vient le style Carpe Diem contemporain (pour ne pas dire la tendance) est moqué dans les rues mais aussi sur certains boulevards jusque sur la plage de la Baie des espèces et c’est toujours un risque pour la prétendument civilisation quand garçons et filles de plage sont remontés et vont loin dans l’esprit de la remontrance.
Les nuits de plage sont perturbées par de violentes discussions et dérapages à la place de feux de bois, Beach boys et guitares sèches. La partie ut melius, quidquid erit, pati (« qu’il est préférable de supporter ce qui sera »)… a déjà été l’occasion de plusieurs torgnoles, raclées et pains.
Habitués aux coups, les partisans de la résignation citent Voltaire :
D’abord en première ligne une lettre à Richelieu : Tout ce que je sais, c’est qu’il faut s’attendre à tout dans cette vie, se tenir prêt à tout, savoir se sacrifier pour l’amitié, et se résigner à la fatalité aveugle qui dispose des choses de ce monde. (Lettre à Richelieu, 13 janv. 1767)
Vous avez bien lu, disent-ils : Il faut savoir se résigner à la fatalité aveugle. Et cela fait bondir les ennemis de la résignation, nombreuses cabrioles.
Et Voltaire récidive : À quoi servirait-il d’avoir vécu quatre-vingt-deux ans, comme j’ai fait, si je n’avais pas appris à me résigner. (Lettre à Mme de St-Julien, 29 mai 1776.)
Pour les partisans de la résignation, Renoncer devient un des plus beaux verbes. C’est un signe de libération. Parce qu’il faut bien savoir quitter, rompre, accepter, oublier, changer.
En face : Oh que non.
Ô non non non !
Les opposants affirment qu’il ne faut jamais se résigner, ne jamais céder ou abandonner. Never give up chantent les chanteurs de rock tradi, malgré leurs jambes maigres flageolantes et arquées en haricot vert, ne jamais se soumettre. Cela les met hors d’eux que des partisans de la résignation puissent assimiler la résignation à la liberté.
Accepter sans se révolter serait aussi une façon de changer ?
Le mot anglais resign signifie démissionner, c’est ce que vous voulez ?
Il semblerait que les deux groupes (résignés et jamais résignés) se perdent à la fin de chaque nuit.
Le latin revient à la mode dans les pugilats linguistiques. On peut les entendre les orateurs chanter (mi rap mi slam de troisième âge en EPHAD) :
Tu ne quaesieris, scire nefas, quem mihi, quem tibi
finem di dederint, Leuconoe, nec Babylonios
temptaris numeros. ut melius, quidquid erit, pati.
seu pluris hiemes seu tribuit Iuppiter ultimam,
quae nunc oppositis debilitat pumicibus mare
Tyrrhenum. Sapias, vina liques et spatio brevi
spem longam reseces. dum loquimur, fugerit invida
aetas : carpe diem, quam minimum credula postero
Horace est chanté sur la plage et dans les bars souterrains jusqu’aux scènes les plus profondes du Pico Pico.
Carpe diem ainsi c’est quelque chose.
De jeunes latinistes font même circuler la traduction de Leconte de Lisle :
Ne cherche pas à connaître, il est défendu de le savoir, quelle destinée nous ont faite les Dieux, à toi et à moi, ô Leuconoé ; et n’interroge pas les Nombres Babyloniens. Combien le mieux est de se résigner, quoi qu’il arrive ! Que Jupiter t’accorde plusieurs hivers, ou que celui-ci soit le dernier, qui heurte maintenant la mer Tyrrhénienne contre les rochers immuables, sois sage, filtre tes vins et mesure tes longues espérances à la brièveté de la vie. Pendant que nous parlons, le temps jaloux s’enfuit.
Cueille le jour, et ne crois pas au lendemain.
Et voilà un groupe de lycéens qui passaient par là tous à genoux et bouché bée à la Une des journaux !
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En lien avec l’histoire sauvage, une pièce radiophonique à écouter en podcast, diffusée le samedi 1er septembre 2018 de 21h à 22h
« La réserve noire » de Jean-Pierre Ostende
Une réalisation de Jean-Matthieu Zahnd. Conseillère littéraire : Caroline Ouazana. Assistant à la réalisation : Félix Levacher
Avec :
Mohamed Rouabhi (Régis Legrand) Pierre-Jean Pagès (François, le père)
Agnès Sourdillon (Sylvie, la mère) Baptiste Dezerces (Sébastien, le fils)
Lyn Thibault (Tatiana, la fille) François Siener (André, le grand-père)
Bernadette Le Saché (Rosemarie, la grand-mère) Miglen Mirtchev (Thomas, le résident) Lara Bruhl (Suzie, la résidente)
Bruitages : Benoît Faivre et Patrick Martinache
Equipe technique : Eric Boisset, Mathieu Le Roux
Ou encore en 2017 : Souffrir à ST Tropez.
première partie :
deuxième partie :