Nous ne voyons pas les choses telles qu’elles sont, nous voyons les choses comme nous sommes.
Et ce que nous sommes est impossible à dire.
Nous ne savons pas que nous regardons les choses comme nous sommes parce que nous ne savons pas qui nous sommes.
Tout le monde regarde la pluie sans se soucier de la tristesse et de la souffrance des gouttes qui s’écrasent.
La Terre est remplie de pluie.
L’homme qui dit la vérité comme il respire est seul sur le trottoir à l’angle des deux boulevards. Les cinémas sont fermés, la ville rêve de leur retour.
Ce n’est pas facile d’être l’homme qui dit la vérité comme il respire.
Tout le monde finit par vous rejeter. D’ailleurs l’homme qui dit la vérité comme il respire est rejeté.
Il comprend bien le proverbe persan : Donne un cheval à celui qui va dire la vérité, il en aura besoin pour s’enfuir.
Vaut-il mieux être incompétent ou mentir ?
Filer à cheval dans la nuit à travers les forêts ?
Vaut-il mieux accélérer ou s’arrêter sans un bruit ?
Arrêter les salades, c’est impossible.
Difficile de comprendre pourquoi la salade a été assimilée au mensonge ou bien au récit auquel on ne veut pas croire
On ne sait pas non plus vraiment pourquoi le poulet est associé au policier ni pourquoi le lapin est un rendez-vous manqué quand il est froid et un obsédé sexuel quand il est chaud.
Les animaux libres n’ont pas de restaurant mais ils connaissent la restauration en plein air et le monde est leur restaurant. Comme le pensait Oscar Wilde la grande différence entre les adultes et les enfants, c’est surtout le prix de leurs jouets.
Dans le parc quelqu’un lit à haute voix un texte de Michel Jourdan :
« Ceux qui viennent nous voir, les rares visiteurs qui montent à Brocéliande (même ceux que l’on appelle « marginaux »), s’étonnent de notre vie. « Comment pouvez-vous moudre tous les jours votre blé à la main pour faire votre pain, cela doit être fatigant ? Comment pouvez-vous vivre sans voiture ? Pour les courses comment faites-vous ? Comment pouvez-vous rester quinze jours sans bouger ? » Cela les étonne que l’on puisse vivre aussi pauvrement de céréales et de légumes du jardin, sans profiter des loisirs de la ville, sans radio. A part des livres qui sont pour nous une seconde nourriture. Je constate chaque jour l’utilité et l’écologie des petites maisons qui chauffent vite, avec peu de bois. Quand on a de multiples tâches toutes différentes à faire dans la journée, on s’aperçoit que la division du travail c’est l’uniformité, l’opposé de la vie qui est la diversité même. Sans gaz, sans égout, sans chauffe-eau, sans eau courante dans la maison, il leur semble que l’on ne peut pas vivre maintenant. Mais se sont-ils posé la simple question : « Qu’est-ce que vivre, quel critère pour mesurer l’intensité d’une vie ? » Mais aucun de leur appareil ne peut mesurer encore l’intensité d’une vie. Simplifier la vie quotidienne est une révolution. Ne garder que l’essentiel : un métier à tisser, un moulin à céréales, une hache, une bêche, une marmite, un poêle à bois et un seau. Il y a toujours quelque chose à faire : tailler un abreuvoir pour les bêtes dans un tronc d’arbre, ou une cuillère dans une branche ou un peigne en bois. Il ne fait jamais vraiment nuit.
Les étoiles brillent toujours, même si on ne les voit pas sous les nuages. Toute cette société que nous fuyons est fondée depuis des millénaires sur la peur de la nature : orage, guêpe, pluie, vent ou fumée du feu… Être assis sans rien faire, c’est le plus difficile pour ceux qui s’agitent dans cette société. »
(extrait de Notes de ma grange, des montagnes et des bois». Ed Stock 1980)
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