Souvent dans les brocantes qui ont l’air de rien, même les plus modestes, défaites, abîmées, ça sent la mise en scène. Ainsi un dimanche matin de vide-grenier (comme si le mot grenier en milieu urbain avait encore l’intention de tromper quelqu’un), le garçon aux cheveux longs a eu la soudaine et froide sensation d’être passé, presque sans transition ni étape, de 2018 à 1960, peut-être à cause d’une photographie des Beatles posée à côté d’un tourne disque et d’une affiche contre la guerre au Vietnam.
Il y avait dans les brocantes une multitude de portes mentales où l’on pouvait se glisser et parfois être aspiré.
Le voilà, ce garçon aux cheveux longs, qui se retrouve en cette fin 1960, subito, retrouvant, non sans étonnement, une jeunesse qui souffre d’être jeune plus qu’elle n’en jouit, les bandes de jeunes dans les villes, qui marchent à pied, solitaires, noctambules à vide, que l’inexpérience, le manque d’argent, la non-appartenance à une société définie, le manque de perspectives, semblent faire tâtonner dans un vide sans couleur et sans saveur exactement comme, le 26 novembre 1960 dans une conférence, l’avait dit Italo Calvino au sujet de certains personnages de Cesare Pavese.
Le garçon aux cheveux longs s’était demandé si Cesare Pavese, fantôme (fantasmi) ou pas, était bien de retour sur la scène internationale avec son saisissant livre, Le métier de vivre (Il mestiere di vivere), qui n’avait pas tant réussi à son auteur puisqu’il avait fini (et non pas par manque de métier) par se suicider le 27 août 1950 dans une chambre d’hôtel à Turin en avalant des somnifères.
En ce dimanche, notre garçon aux cheveux longs devait s’avouer tout de suite qu’il était peut-être devenu, à son insu, sans qu’il s’en doute ou qu’il puisse même s’en plaindre à quiconque, un des personnages de Cesare Pavese, né dans une autre époque, un personnage un peu grisâtre, à la recherche d’un porte-bonheur, accablé, marchant lui aussi à pied en ville, parmi des bandes de jeunes gens désœuvrés, abattus, errant des nuits entières, semblant sans famille tâtonner un peu partout dans la ville à cause de leur manque d’argent tout autant que de désir artistique, sans compter leur solitude, leur sensation d’exclusion et de tristesse, l’absence d’emploi et même l’absence d’espoir qu’il puisse y avoir un jour une place, une utilité, une activité pour eux, les faisant rôder, vadrouiller dans les rues, à divaguer sans ouverture possible ni lendemain, sans avenir autre qu’une attente indéfinie, comme s’ils se retrouvaient tous suspendus, hors jeu, hors sol, dans une espèce de crépuscule infini…
Et puis il y a eu cette pizzeria, ces carafes de vin blanc frais, ces filles qui semblaient sorties d’une image en noir et blanc, d’un roman-photo (outil de distraction inventé en Italie en 1947), souriantes, venues sur de grandes bicyclettes noires, abîmées, rejouer une scène qu’il avait déjà vue bien des fois au cinéma…
Oui, c’était une question, se demandait notre garçon aux cheveux longs : qu’est-ce qui vous rend heureux ?
Mais voilà, il suffit de s’en souvenir, ce n’est pas plus compliqué, lui avait soufflé cette jeune femme, souriante et pauvre mais pas victime, sans se douter de ce qu’elle allait provoquer chez lui et que chacun, apprenant cette histoire, pourrait continuer d’imaginer, à sa façon. Comme s’il y avait une possibilité de bonheur et qu’elle se logeât dans l’esprit. Mais où ?
Une des pratiques à cette époque pour s’éloigner du trouble consistait à chantonner.
Suffisait-il de chantonner ?
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En lien avec l’histoire sauvage, une pièce radiophonique à écouter en podcast, diffusée le samedi 1er septembre 2018 de 21h à 22h
« La réserve noire » de Jean-Pierre Ostende
Une réalisation de Jean-Matthieu Zahnd. Conseillère littéraire : Caroline Ouazana. Assistant à la réalisation : Félix Levacher
Avec :
Mohamed Rouabhi (Régis Legrand) Pierre-Jean Pagès (François, le père)
Agnès Sourdillon (Sylvie, la mère) Baptiste Dezerces (Sébastien, le fils)
Lyn Thibault (Tatiana, la fille) François Siener (André, le grand-père)
Bernadette Le Saché (Rosemarie, la grand-mère) Miglen Mirtchev (Thomas, le résident) Lara Bruhl (Suzie, la résidente)
Bruitages : Benoît Faivre et Patrick Martinache
Equipe technique : Eric Boisset, Mathieu Le Roux
Ou encore en 2017 : Souffrir à ST Tropez.
première partie :
deuxième partie :