Ce qui se répète plus ou moins fort et en boucle depuis des années, au sujet de la surimpression nostalgique, lors des soirées alcoolisées du Pico Pico, revient à dire : d’accord nous sommes peut-être dans un recyclage et mixage complet de ce qui a été l’originalité, la singularité, la nouveauté de la production du XXème siècle… mais cette accélération de retours sur le passé, cette multitude de variations et répétitions, n’est pas sans promesse ni fertilité.
Nous avons disparu comment ? C’est une question. La ville est pleine de rues inconnues et d’immeubles inconnus remplis d’appartements inconnus où vivent des inconnus et parmi toutes ces données inconnues surgissent toujours et sans relâche de nouveaux spécimens pour trafiquer et modifier.
– Un verre de vin blanc ?
– Oui. Merci.
– La réalité est un emballage.
Il est ainsi ce barman, sans explication filandreuse.
J’ai vu le barman chanter en rinçant les verres la dernière scie : Encore moins attaché, encore plus vite.
– Ah oui. Cette chanson est astucieuse. Le gérant aimerait. Sûr.
Les rendez-vous avec des personnes inconnues sont devenus la passion du gérant directeur. Il ne peut plus s’en passer. Plus encore que les rencontres, l’idée de la rencontre. Le physique est si vite vulgaire et ennuyeux. « Ah bon ? Ce n’était que ça ? ». Il ne pensait qu’à ses rendez-vous avec des personnes inconnues. L’électricité lui facilitait la tâche.
– Je pensais vous connaître.
Dès qu’il se réveille, David le directeur allume son ordinateur et consulte sa boîte à lettres pour voir quelles sont les nouvelles – les rendez-vous possibles, les prises de contacts. Il y a ces prénoms (que se passe-t-il derrière ce prénom ?), souvent des pseudos, ces phrases, ces propositions, tous ces messages identiques et différents. L’impression que c’est un nouveau jeu avec les règles qu’il faut suivre pour pouvoir jouer, une reprise hypnotique et douce. Rien de plus.
– Vous aimeriez que l’on marche ensemble dans une zone industrielle si étendue et surprenante dans ses altérations ?
– Oh ! David !
– J’imagine souvent que je suis un puzzle devant un puzzle et je ne sais pas quelle image je dois construire.
C’est très récent qu’il y ait des promeneurs dans les zones industrielles de la ville. Autrefois, il n’y avait jamais de piéton dans les zones industrielles de la ville. Que des camions et des voitures, de la fumée, du bruit, des ronds-points. Il n’est plus rare de voir de piétons, y compris des artistes marcheurs, des philosophes aussi.
Ce n’est pas un hasard si les zombies, les magiciens, les fantômes, les amateurs de pouvoirs magiques, les shamans, les sorciers, les phénomènes surnaturels sont de plus en plus présents partout.
La superstition est de retour entre les enseignes.
Les rendez-vous spirituels au milieu des machines ne sont plus une curiosité. Le physique nous fait assez peur pour préférer les rendez-vous avec l’au-delà, le virtuel, le contact par l’écran. La screen touch.
Oh ! David, vous allez tellement vite !
Sinon c’est la rue, c’est dehors, les caméras, l’endroit où tout le monde est dans le film. Pas de recoin, pas d’abri.
Bien plus fort que la conscience, l’inconscience.
Comment nommer cette chose si courante ? Cette forme de déni, de dénégation, quel nom lui donner ?
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LECTURES LE JEUDI 18 MAI À L’ODEUR DU TEMPS (Marseille), 19 heures.
Première partie : Jean-Pierre Ostende (Histoire sauvage, inédits)
Deuxième partie : Olivier Domerg (On the Rhône again, extraits de Rhonéo-Rodéo)
Catherine Flament présentera Un comptoir d’édition.