Romantique

Dans la rue, sur les marchés, dans les magasins, la grande phrase des moralisateurs (anti jeu vidéo) qui accostent les passants en distribuant des tracts à l’ancienne et espérant attraper un joueur de la Division Fantôme pour le sermonner et le dissuader de continuer ses aller-retour entre la vie réelle et le jeu.
Oublient-ils la nécessité de jouer ? Savent-ils que les joueurs de la Division Fantôme restent plutôt enfermés dans leur chambre devant leur écran et qu’ils font mentir les coachs qui pensent comme Pascal que « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre »…
Nous nous savons, disent les joueurs de la Division Fantôme.
Qui n’a pas envie de voyager dans les temps avec la Division Fantôme ?
Qui ?
Qui n’a pas aimé mettre ses lunettes et voyager dans le temps ?
En 1590 pendant le siège de Paris par le roi de Navarre, la faim a poussé les Parisiens à ramasser les ossements du cimetière pour en faire de la farine.
Quel goût avait la galette ? Et le pain ?
Un des correspondants de l’Étoile du matin, Patrick Brenner, (ancien fanatique des médias) est persuadé que nous vivons tous dans un concept au moins, un contour au pire.
Chaque soir il passe deux ou trois heures avec ses informateurs et ses infiltrés (parfois plus) et il s’en occupe comme s’il s’agissait d’animaux qu’il doit nourrir avec régularité et qui attendent leur pitance. Comme certains sont avides ! Ils n’en ont jamais assez. Il faut vite leur envoyer un gentil message du genre : « Je tombe de fatigue, à demain ».
C’est son poulailler.
Il faut les réconforter sans cesse et leur donner de l’espoir, les rassurer et ne jamais les négliger.
Les conditions de travail ont changé partout jusque dans le geste pour ouvrir sa porte et son téléphone.
Depuis quelques temps la mode est aux soirées BARBE (il s’agit de s’ennuyer le plus possible) et l’on projette des films ennuyeux, on choisit des sujets de discussions ennuyeux. Pourquoi pas ?
Il y a des professionnels de l’ennui dans ces soirées, des tueurs d’ambiance. L’ennui ne s’improvise pas, il se savoure. Il existe des casseurs d’ambiance mais il existe aussi des refroidisseurs de salle (jeter un froid pour casser l’ambiance) comme il existe des chauffeurs de salle, des gens qui commencent un discours avec : « Faire plaisir aux parents est une des plus grandes causes de mortalité ». Ça jette un froid, tout le monde écoute.
Tu as peur de ce qu’il y a derrière la porte.
Tu trouves que ta vie est devenue très vite un marabout de ficelle de cheval ? Tout s’enchaîne à ton insu depuis des années peut-être depuis ta naissance et tu ne t’es encore aperçu de rien ? Tu es peut-être un zombie ?
Aucun des amis de Patrick Brenner n’avait envie de voyager, c’est dire combien ils étaient sans illusion. Sa compagne pensait à ces gens qui vivaient en haut des tours et passaient des heures la nuit à regarder les lumières blanches et rouges de la circulation sur les voies rapides, un fleuve de voitures qui entrent et sortent. Hypnotique.
Prends ce qui te plaît le plus et grossis le un maximum. Un conseil de la rédaction de l’Étoile du matin. Patrick Brenner l’a bien compris.
Son fils s’occupe du musée du punk, le No future museum. Il y a presque quatre vingt dix musées dans la ville, la municipalité vise les cent musées dans les années à venir.
– Si tu visites un musée chaque dimanche tu en as pour deux ans.
Chaque habitant pourrait devenir un musée.
Il y a aussi le Yachting club, un endroit à la réputation solide où les hommes et les femmes viennent en week-end pour se détendre, essayer d’oublier le stress des décisions difficiles, en voguant sur la mer, les pieds dans de fines chaussures en cuir étudiées pour résister à l’eau de mer tout en restant souples.
Il y a aussi le vampire club, son champagne.
Tout le monde vivait si loin des grandes usines côtières où des travailleurs venaient sept jours sur sept, nuit et jour, sous le slogan affiché : Éduqués aujourd’hui, plus libres demain.
On y écoute parfois de vieux haut-parleurs grésillants diffuser la voix de Robert Wyatt chantant l’Internationale en anglais, version qualifiée de romantique.

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