Cannibales heureux

– Tous les cannibales sur terre ne mangent pas avec les doigts. Je te l’assure. C’est toujours une mauvaise image que l’on veut donner d’eux.
– Tu as raison, maman. Je vais faire un effort. Il y a tellement de préjugés. J’oublie que nous n’en sommes plus là, non ?
– Grrr…
– C’est quand même encore très mal vu, tu es d’accord ? Même en 2015… Je ne peux jamais parler de chair humaine à l’école sans que cela crée un malaise profond. On croit que je plaisante. Ils sont bornés si tu savais. Heureusement tout le monde croit que je plaisante quand je dis que ma mère cuisine la poitrine d’une façon inoubliable. Dis-moi, maman… J’ai une question… qui me travaille depuis quelques temps…
– Vas-y, ma chérie, dis-moi ce qui te tracasse, ne te gêne pas, on est en famille.

– C’est un peu délicat… Je ne voudrais pas te vexer… Mais… Est-ce que famille est heureuse, non ?
– Mais oui ma chérie, notre famille est heureuse. Qu’est-ce qui te fait penser le contraire ?
– Je ne sais pas… il y a deux ou trois choses… qui clochent… qui m’inquiètent… Ce n’est peut-être rien… Les cages, par exemple, tu vois les cages dans le sous-sol…
– Ne t’inquiète pas, ma chérie. Ça c’est grand-père… C’est son hobby… Mais pour répondre à ta question : Bien sûr qu’elle est heureuse notre famille. Qu’est-ce qui te fait croire le contraire ? Oublie les cages et le sous-sol… Fini ton mollet maintenant, ça va refroidir.
– Tu crois que toutes les familles sont heureuses comme nous ?
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Tu crois que toutes les familles sont heureuses de façon identique ?
– Qui t’a raconté ça ?
– Tolstoï, maman.
– Je t’ai toujours dit de ne pas trop lire. Tu vas bousiller ton imagination… Tu les as vus les premiers de la classe ?… Hein, tu les as vus les premiers de la classe qui ont tout lu ?… Tu crois qu’ils inventent grand-chose après ? Alors, tu disais… Les familles heureuses toutes identiques… Tu as trouvé ça dans Anna Karenine, non ?…
– Oui, c’est le début.
– Tu n’as quand même pas lu le livre en entier ?
– Non. Juste le début.
– C’est bien. J’ai l’impression que tu n’as plus faim. Il ne te plaît pas ce mollet ?
– Maman, je n’ai plus faim.
– Tu ferais mieux d’arrêter avec cette phrase de Tolstoï, ça te coupe l’appétit et Papa ne va pas être content, tu sais, la prison est difficile même pour les escrocs…

– Tu peux me donner ton avis sur les traductions du début d’Anna Karenine :
“Toutes les familles heureuses le sont de la même manière, les familles malheureuses le sont chacune à leur façon.”
“Toutes les familles heureuses se ressemblent ; chaque famille malheureuse est malheureuse à sa manière.”
« Toutes les familles heureuses sont identiques, les familles malheureuses toutes différentes. »
– Je crois que tu es encore en train de faire une fixation. Il faut que je réfléchisse. Tu sais la traduction, c’est… C’est délicat.
– Je trouve que c’est très proche de la phrase “Le beau n’a qu’un type ; le laid en a mille.”
– Ah oui… C’est de qui ?
– C’est de Victor Hugo, la maîtresse l’a dit quand on s’est moqué de moi.
– Dans quoi ?
– Quoi dans quoi ?
– Victor Hugo a écrit ça où ?
– Dans Cromwell, maman.
– Tu vas trop voir Gigolo.
– Google maman.
– Je préfère l’appeler Gigolo.
(un long silence)

– Ne sois pas anti-technologie…
– Tu sais, maman, tu cuisines tellement bien… ta cuisine est si bonne que parfois… c’est effrayant.

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En lien avec l’histoire sauvage, une pièce radiophonique : Souffrir à ST Tropez.

L’émission en deux parties
première partie :
https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-samedi-noir/souffrir-st-tropez-de-jean-pierre-ostende-premiere-partie

deuxième partie :

https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-samedi-noir/souffrir-st-tropez-de-jean-pierre-ostende

Réalisation Jean-Matthieu Zahnd
Conseillère littéraire Caroline Ouazana

A 70 ans Jeanne Bregman a sauvé un pré-adolescent de la noyade. En guise de récompense, les parents de l’enfant (M. et Mme Merchant-Cazale) offrent à Jeanne Bregman quelques semaines à Saint-Tropez dans leur villa.
A la Pampanita, commence alors un séjour tout à fait particulier où une jeune Américaine qui occupe la villa voisine, proposera à Jeanne Bregman de jouer dans un film très spécial…
Ce sera pour elle l’occasion de découvrir une vie qu’elle n’avait jusque-là jamais imaginée, tout un monde. Cinéma, drogue et zombies.

Avec
Nita Klein ( Jeanne Bregman)
India Hair ( Sidney Mercury)
Antoine Sastre ( Vincent Gallatino)
Yvon Martin ( un Syndicaliste acteur de télé-réalité)
Lara Bruhl ( Jennifer Cook)
Rémi Goutalier ( Patrick Merchant-Cazale)
Léo Reynaud ( un Zombie syndicaliste)
Bastien Bouillon ( Lolito)
et
Sophie Bezard , Elodie Vincent, Loic Hourcastagnou, Emilie Chertier, Hermann Marchand, Louis-Marie Audubert, Lionel Mur, Matyas Simon, Mathilde Caupenne, Aurélien Osinski, Stéphane Szestak , Cécile Arnaud, Laurent Gauthier

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